Comptes rendus En mémoire de Napoléon Ier
Comptes rendus

En mémoire de Napoléon Ier

20/05/2021

Curieusement, le bicentenaire de la disparition de l’Empereur (5 mai 1821), pourtant amateur d’opéra, a peu motivé les maisons de disques. En attendant la première intégrale de Giulietta e Romeo de Zingarelli, l’un de ses titres préférés, sous étiquette Château de Versailles Spectacles, voici un séduisant florilège des chansons, mélodies et marches de l’époque.

Le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte ferme les yeux. L’exil tragique dans une île perdue au milieu de l’Atlantique Sud, entre Brésil et Angola, va parer son destin de ce prestige romantique qui séduit l’imagination. Alors naît la Légende ; martyr des coalisés, l’Empereur, héritier naturel de la Révolution française, devient le libérateur des peuples, le second Prométhée.

La dalle funéraire, à Sainte-Hélène, ne porte aucune inscription : les fidèles compagnons auraient voulu qu’on y gravât « Napoléon 1769-1821 ». Le geôlier Hudson Lowe exige qu’on ajoute « Bonaparte ». On laisse la pierre nue. Et Lamartine commente : « Ici gît… Point de nom ! demandez à la terre ! »

Le CD enregistré en studio, en décembre 2020, réunit les forces de deux ensembles : Les Lunaisiens (dont le baryton Arnaud Marzorati est le directeur artistique) et Les Cuivres Romantiques. La soprano Sabine Devieilhe prête son concours pour quatre pièces.

La figure adorée, controversée, détestée du Premier Consul, de l’Empereur, du Proscrit réunit, en son temps, « toutes les musiques ». Le grand mérite de cette contribution originale au patrimoine est de mettre en lumière la convergence de la musique populaire (les chansons de rue, les mélopées des caveaux, les chants séditieux), de la propagande étrangère et des romances raffinées. On entend aussi, à travers différentes fanfares et sonneries, les instruments du Musée de la Musique, à la Philharmonie de Paris : trompettes et bugles à clefs, cors, trombone buccin, ophicléide, percussions, serpent et orgue de Barbarie.

Des compositeurs illustres sont représentés : Paisiello (Marche du Premier Consul), Grétry (sur l’air de La Caravane du Caire, on exécuta, lors de l’entrée à Moscou, en 1812, un hymne peu prophétique, La Victoire est à nous), Cherubini (Pas redoublé n° 4)…

Faut-il rappeler que l’attentat de la rue Saint-Nicaise (24 décembre 1800), organisé par les Chouans, visait un Premier Consul se rendant à la création parisienne de Die Schöpfung de Haydn ? La Complainte de la machine i-nfernale évoque la cruauté du dispositif (un tonneau chargé de poudre, mêlée à de la mitraille et des clous), l’étendue du carnage (parmi les morts, une fillette sacrifiée par l’un des exécutants), les maisons effondrées, le discours du ministre de la Police, Fouché, la résolution de « punir les monstres pleins de rage pour accélérer la paix ».

Sabine Devieilhe, délicatement accompagnée par Daniel Isoir sur un piano à queue Érard de 1802, interprète la romance mise en musique par Hortense de Beauharnais, Adieux d’une mère à son fils, avec une finesse nostalgique. Autre romance, mais beaucoup plus enjouée, Les Pupilles de la Garde de Loïsa Puget n’est pas sans annoncer certains accents de l’allègre Fille de Madame Angot. Le Tombeau de Joséphine, par Déméry (1814), dit l’attachement dont l’Impératrice fut l’objet.

Mais le sommet est, sans doute, la plus célèbre chanson de Béranger, Les Souvenirs du Peuple (1828), pièce majeure de la Légende napoléonienne : « On parlera de sa gloire/Sous le chaume bien longtemps. (…) Parlez-nous de lui, grand’mère. »

Personnalité au parcours complexe, Béranger avait critiqué le despotisme, en s’abstenant de la guerre. On l’entend ici chanté par le talentueux ensemble Les Lunaisiens, recréant l’ambiance du cabaret Le Caveau.

Très naturel, remarquablement articulé, ce chant sait prendre l’accent de la tristesse poignante (Le Conscrit), ou évoquer les horreurs de la guerre (La Bataille de Waterloo). Et quelle simplicité dans Les Pommes de terre que l’Empereur partageait, sans façon, avec ses « grognards » au bivouac dans l’enfer d’Eylau !

Ces soixante-deux minutes de musique(s) dûment croisée(s), avec un livret d’accompagnement proposant les textes des chansons et mélodies, offrent un viatique aux pèlerins de l’Histoire.

PATRICE HENRIOT

1 CD MUSO MU-044

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