Iolantha
Philharmonie, Grande Salle, 21 septembre
Après la déception de son Tannhäuser à Bayreuth, l’été dernier (voir O. M. n° 154 p. 30 d’octobre 2019), on attendait le meilleur de Valery Gergiev pour son retour à la Philharmonie de Paris, dans le cadre d’un week-end « Saint-Pétersbourg », réunissant deux opéras en version de concert : Iolantha et Parsifal. Le chef russe n’a pas déçu nos espoirs, accomplissant d’authentiques miracles, autant dans Tchaïkovski que dans Wagner.
Peut-on parler de communion à propos du lien unissant Valery Gergiev à « son » orchestre, « ses » chœurs et « ses » solistes du Mariinsky ? Nous n’en voyons aucun autre qui résume aussi bien pareille fusion de timbres et d’intentions, à un niveau incomparablement supérieur, s’agissant de Iolantha, à l’intégrale réalisée pour Philips, en 1994. C’est à un véritable festival de couleurs et de nuances que nous avons assisté, avec une cohésion infaillible entre les différentes forces en présence.
Dirigé de manière aussi sensuelle, avec un sens prodigieux de la progression dramatique, le duo entre Iolantha et Vaudémont, clé de voûte de l’ouvrage, atteint des paroxysmes d’émotion, même si on a connu interprètes plus exceptionnels qu’Irina Churilova et Najmiddin Mavlyanov. Dotés de voix solides et puissantes, mais sans personnalité particulière, la soprano russe (à l’extrême aigu pas toujours très propre) et le ténor ouzbek sont littéralement transcendés par un chef dont le génie éclate à chaque mesure.
Déjà entendu dans l’inoubliable production de Peter Sellars, à Madrid, en 2012 (voir O. M. n° 71 p. 34 de mars), Alexey Markov demeure un Robert de grande classe, au timbre séducteur et à l’émission arrogante. Stanislav Trofimov est bouleversant d’humanité et de tendresse contenue en Roi René, Evgeny Nikitin et Yuri Vorobiev s’avérant un luxe bienvenu en Ibn-Hakia et Bertrand. Tous deux peuvent prétendre à des rôles plus importants (ils le confirmeront, le lendemain, dans Parsifal) mais, jouant le jeu de la troupe, ils ajoutent à l’éclat de ce concert.
Parsifal
Philharmonie, Grande Salle, 22 septembre
Le concert met, cette fois, un peu de temps à démarrer, avec un tempo vraiment trop lent au début du I. Et puis, la machine se met en route à partir de l’entrée de Parsifal, Valery Gergiev empoignant l’attention de l’auditeur pour ne plus la relâcher jusqu’à la fin de l’acte. La transition entre les deux tableaux, puis le dévoilement du Graal, atteignent des paroxysmes de beauté et d’ivresse, avec le concours d’un orchestre et de chœurs du Mariinsky dans une forme étincelante.
Le II file sans aucun temps mort, avec un influx théâtral et un sens du suspense musical qui font mouche. Le III renoue avec le hiératisme du I, pour culminer dans un tableau final d’une splendeur sonore et d’une élévation mystique qui laissent l’auditeur bouche bée, avec la sensation d’avoir vécu une expérience unique.
Les solistes sont tous inspirés, pour ne pas dire transfigurés, par la baguette de Valery Gergiev, au point de faire oublier, dans le cas de Mikhail Vekua, une voix un peu légère pour Parsifal, tant en termes de projection que de consistance du bas médium et du grave. Evgeny Nikitin, souvent entendu en Klingsor, se surpasse, et Yuri Vorobiev, excellent chanteur de troupe, se hisse au niveau d’un Franz-Josef Selig ou d’un Günther Groissböck en Gurnemanz.
Alexey Markov, que nous connaissons bien dans le répertoire russe et italien, est une bonne surprise en Amfortas. La voix se projette sans problème au-dessus de l’orchestre, et les tourments du monarque blessé dans sa chair sont traduits avec autant d’intensité que de sobriété.
Découverte, enfin, en la personne de Yulia Matochkina, jeune mezzo-soprano dramatique, sortie de l’Académie du Mariinsky, en 2016, et aussitôt intégrée dans la troupe. Longue, facile, homogène, capiteuse, la voix satisfait à toutes les exigences de Kundry, jusque dans l’extrême aigu, d’une rondeur et d’une arrogance saisissantes.
Nous rêvons maintenant de l’entendre en Eboli, Amneris, Princesse de Bouillon et Dalila, quatre rôles qui figurent à son répertoire.
RICHARD MARTET
PHOTO © CHARLES D’HÉROUVILLE