Badisches Staatstheater, 14 février
Créé à Londres, en 1728, Tolomeo est le dernier des cinq opéras composés par Haendel, pour un célèbre trio d’étoiles du chant de l’époque : le castrat alto Senesino, et les sopranos rivales Faustina Bordoni et Francesca Cuzzoni.
Écrits hâtivement, sur des livrets assez faibles, et en devant tenir compte des desiderata de divas capricieuses, il s’agit, dans l’ensemble, d’ouvrages de second rayon. On avait déjà pu s’en rendre compte lors d’éditions précédentes du « Festival Haendel » (« Händel-Festspiele ») organisé, chaque hiver, par le Badisches Staatstheater de Karlsruhe, notamment avec Alessandro, en 2012, puis Riccardo primo, en 2014.
Rarement remonté à notre époque, Tolomeo ne fait pas exception : un opéra joliment intimiste, aux airs relativement interchangeables, souvent d’un certain caractère pastoral, qui se déroule sur une île, où deux des personnages sont un couple de souverains exilés, déguisés en bergers. De l’habituel entrelacs amoureux, qui fait que ce ne sont jamais les bons personnages qui s’enflamment pour les bonnes personnes, découle le prévisible cortège obligé d’airs de déclaration, de supplication, de dépit, de vengeance, etc.
Plutôt que de réinventer complètement cette modeste dramaturgie, l’équipe française de Benjamin Lazar a préféré souligner ses spécificités, relativement ténues : l’isolement insulaire, le jeu sur l’échiquier des sentiments, le creusement des émotions, l’irruption métaphorique des éléments naturels… D’où le décor unique d’Adeline Caron, hall d’hôtel de luxe, au design passé de mode, à peine meublé de quelques sièges et arbustes chétifs, dans lequel tous les personnages restent en permanence visibles du public.
Pour autant, en dépit de ce plateau presque vide, Benjamin Lazar se garde bien d’occuper les mains des chanteurs avec trop d’objets à significations diverses, à l’exception d’un grand bouquet de roses souvent embrassé, trituré, dispersé… Une direction d’acteurs subtile, mais tellement en creux qu’elle pourrait en devenir terriblement ennuyeuse, si elle n’était sauvée, à partir de l’acte II, par l’irruption des superbes vidéos de Yann Chapotel : les fenêtres du hall s’ouvrent de tous côtés sur les vues imposantes d’une mer tantôt calme, tantôt tempétueuse, au gré des affects développés dans les différents airs.
Karlsruhe étant devenu un passage obligé pour tout nouveau contre-ténor vedette, voici, cette année, le Polonais Jakub Jozef Orlinski, dans le rôle-titre : physique de jeune premier, mais voix plus apte à l’élégie (le plaintif « Stille amare ») qu’aux vocalises héroïques, qui fragmentent son timbre en éclats pas toujours agréables.
En lointaines héritières des deux sopranos rivales, la Britannique Louise Kemény paraît davantage à l’aise dans la vertueuse Seleuce, avec une ligne de chant expressive et d’une musicalité appréciable, que la Française Eléonore Pancrazi, plus désordonnée dans les accès colériques de la péremptoire Elisa.
Au second plan, le contre-ténor chinois Meili Li chante joliment, mais placidement, les airs d’Alessandro, alors que le baryton australien Morgan Pearse incarne un Araspe d’une saisissante présence.
Nouveau venu à la tête de l’ensemble Deutsche Händel-Solisten, le chef italien Federico Maria Sardelli tente une lecture aussi expressive et détaillée que possible, sans toujours éviter une certaine monotonie, peut-être inéluctable dans cet ouvrage.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © FALK VON TRAUBENBERG