Opéra Comédie,20 février
Venu du théâtre, le jeune metteur en scène autrichien Valentin Schwarz, à qui l’on doit cette nouvelle production de l’Opéra Orchestre National Montpellier (coréalisée avec le Badisches Staatstheater de Karlsruhe), ne manque pas d’idées. Transposer l’intrigue de nos jours n’est certes pas spécialement original, sauf si l’on décide que Don Pasquale s’imaginera vivre dans un passé héroïque, d’où un choc de deux mondes.
Dans son cabinet de curiosités monumental (superbe décor d’Andrea Cozzi !), environné de centaines de livres, de sculptures et d’objets hétéroclites, le vieil homme se prend pour Don Quichotte. Ses vêtements, comme ceux de ses domestiques, nous renvoient à l’époque de la grande peinture hollandaise de la Renaissance.
Plusieurs créatures grotesques ou monstrueuses, ainsi que d’autres plus nébuleuses et inquiétantes, symbolisent ses cauchemars et ses fantasmes. Une très belle image, à la fin de l’acte II, au moment où il réalise que sa jeune épouse détruit sa vie et sa routine, le montre ainsi propulsé (par un harnais) dans les airs, au milieu de ces animaux sortis d’un film d’horreur.
En revanche, les autres personnages nous ramènent à notre époque, tant l’improbable tenue (tee-shirt et bermuda, façon survêtement) d’Ernesto que les atours punk et bigarrés (perruque verte, puis bleue) de Norina. Malatesta, quant à lui, est transformé en prêtre à soutane, dispensant ses bons offices plus ou moins intéressés.
Dans un climat aussi franchement burlesque, c’est donc bien à une démolition de l’esprit du vieillard que l’on assiste, la cruauté culminant au III quand, au lieu de donner une gifle à Don Pasquale, Norina fracasse son violon, le dernier objet auquel il tenait. Si la jeune femme et Malatesta semblent avant tout des êtres sans scrupule, Ernesto paraît sans cesse à côté de ses pompes, habitant une tente de camping, installée au beau milieu de l’appartement de son oncle.
Tout ceci fait incontestablement de l’effet, c’est souvent cocasse, mais il y a tellement d’événements et de personnages secondaires que l’on finit par s’y perdre. Le trop-plein n’aide pas toujours à comprendre ce qui se passe, mais la drôlerie reste un atout pour cette production.
Âgé de 25 ans seulement, le chef italien Michele Spotti ne fait pas non plus dans la simplicité : il faut le voir se démener au pupitre, agiter la tête et déployer de grands gestes. L’Orchestre National Montpellier Occitanie lui répond avec enthousiasme, en déclenchant des fracas parfois exagérés, mais avec de jolies couleurs instrumentales.
Moins convaincant est le Don Pasquale de Bruno Taddia. Certes, le baryton-basse italien se montre acteur désopilant, mais la voix impacte peu et semble parfois éteinte. En revanche, la Norina de Julia Muzychenko sait se faire entendre : aigus puissants, souvent un peu durs, technique impeccable, présence sensuelle. Malheureusement, la soprano russe ne quitte que rarement la nuance forte.
Ernesto bénéficie du timbre solaire du ténor italien Edoardo Milletti, qui n’a sans doute rien d’un jeune premier, surtout dans l’accoutrement qu’on lui impose, mais qui sait articuler un chant subtil. Enfin, le baryton américain Tobias Greenhalgh est un Malatesta autoritaire, disposant d’un registre étendu et d’un grave percutant.
À noter que cette production bénéficie, pour la première fois, d’un surtitrage adapté aux personnes sourdes et malentendantes. Une cinquantaine d’entre elles sont placées au premier rang du parterre, et, sur scène, deux acteurs spécialisés en langue des signes (LSF) interviennent sans cesse, en mimant les effets musicaux – apparemment à la grande satisfaction de ce public particulier, qui n’a guère l’occasion d’être convié à l’opéra. Expérience concluante, donc.
JEAN-LUC MACIA
PHOTO : © MARC GINOT