Grand Théâtre Massenet, 12 novembre
Don Giovanni est un loubard. À cette affirmation, très souvent illustrée ces dernières années, Laurent Delvert, metteur en scène de cette nouvelle production de l’Opéra de Saint-Étienne, ajoute, dans sa notice, quelques précisions : ce séducteur impénitent pourrait faire partie du « Club des 27 », ces musiciens anglo-saxons morts dans leur 27e année, de Brian Jones à Kurt Cobain, en passant par Jimi Hendriks ou Jim Morrison ; et il est atteint d’une grande maladie (le donjuanisme !), due à une carence affective traumatisante avec sa mère. Pour lui, tout l’opéra est donc une course effrénée vers la mort.
Ce diagnostic freudien se traduit, sur le plateau, par un environnement de voyous autour du libertin et par une hystérisation mortifère de son attitude. Pour le reste, l’action se déroule à notre époque, mais Don Ottavio, Donna Anna et Donna Elvira portent des tenues « grand monde » évoquant les siècles passés. Quant aux jeunes de banlieue qui, dès l’Ouverture, agressent la servante d’Elvira, ils se transforment en serviteurs stylés à la fin de l’opéra. Seul Leporello reste fidèle à son pull, son jean et son bonnet de laine.
Tout se passe sur et sous un grand pont (décor monumental de Philippine Ordinaire), la plupart du temps dans les ténèbres. Côté jardin, des écrans vidéo diffusent de la pub de luxe, des annonces diverses (un concert de la chanteuse Elvira, la tête du Commandeur sur une affiche politique…) et les images d’une chaîne d’info en continu espagnole, puisque Séville il y a.
On s’agite beaucoup sur le plateau, affrontements, étreintes, courses sur le pont ou au ras du sol, ce que souligne une direction d’acteurs affûtée. Et un brin d’érotisme : pendant le finale du I, trois jeunes femmes se déshabillent et s’enlacent comme les Trois Grâces, seulement vêtues d’un mini-slip. Autre choix original : le Commandeur jaillit, in fine, à côté de sa statue et semble bien vivant, jusqu’à prendre sa fille dans ses bras.
On regrette simplement que Laurent Delvert ne soit pas allé jusqu’au bout de toutes ses idées avec ce spectacle hétéroclite, oscillant entre la noirceur des quartiers délaissés et l’élégance aristocratique des bien-nés.
Michal Partyka s’inscrit parfaitement dans le personnage voulu par la mise en scène. Son Don Giovanni se démène pour occuper l’espace avec virulence, sans trop s’occuper de séduction. Le baryton polonais a gagné en « italianité » par rapport à sa prestation toulonnaise de 2014, mais il doit encore se débarrasser d’une relative monotonie de timbre, qu’il surmonte en susurrant joliment sa « Sérénade ».
Guilhem Worms est un Leporello dynamique, un révolté contrarié, dont la voix porte beaucoup sur le grave, ce qui le distingue bien de son maître, mais englue un peu ses vocalises – heureusement pas son abattage. Idéal Masetto du baryton italien Matteo Loi, aux accents mordorés, au haut médium efficace et à la vivacité tonique.
Camille Tresmontant s’acquitte avec naturel et un timbre lumineux du rôle de Don Ottavio. Dommage qu’il soit privé de « Dalla sua pace », mais « Il mio tesoro » démontre sa facilité de souffle et son agilité sur tout le registre. Décevant, en revanche, le Syrien Ziyan Atfeh, qui manque de puissance dans le grave pour incarner un Commandeur implacable.
La jeunesse est aussi la marque du plateau féminin. Clémence Barrabé se distingue par une absolue maîtrise des vocalises et des écarts de Donna Anna, mais elle manque nettement de projection, atténuant ainsi la véhémence de son personnage.
Au contraire de Marie-Adeline Henry en Donna Elvira, qui impose d’entrée une forte présence et un timbre solide, malgré des aigus durcis. Aucun réserve, en revanche, pour la pétillante Zerlina de Norma Nahoun.
Chef principal de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire, Giuseppe Grazioli mène bien ses troupes, sans pour autant installer des climax dramatiques ou suggérer l’émotion, ce qui est en phase avec ce spectacle à l’équilibre précaire.
Dans tous les cas, ce Don Giovanni a le mérite de se distinguer du tout-venant et d’afficher plusieurs chanteurs français prometteurs. Ce qui est déjà beaucoup.
JEAN-LUC MACIA
PHOTO © CYRILLE CAUVET
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