Comptes rendus Don Giovanni de belle facture à Orange
Comptes rendus

Don Giovanni de belle facture à Orange

06/08/2019

Théâtre Antique, 2 août

La brise est légère, et c’est à peine si le crissement de pneus avec lequel surgit un taxi jaune (il y aura d’autres freinages brusques) trouble le Théâtre Antique, pourtant plus habitué à la tradition qu’à la modernité. Leporello y transporte son maître et ce taxi sera le lieu des transports amoureux en commun (Zerlina d’abord, Donna Elvira ensuite).

La banquette arrière plutôt que le lit à baldaquin opère une transition en douceur, car la mise en scène de Davide Livermore n’est audacieuse qu’en apparence. Il y a des domestiques en livrée et une calèche traînée par un cheval fatigué, des danseuses en nuisette rouge vif, mimant une scène d’orgie à laquelle Masetto, au fond, ne peut que trouver agréable d’avoir été convié. Signée D-Wok, la vidéo habille joliment le Mur, rehausse ses colonnes, accompagne l’air « du catalogue » de photos trash de femmes offertes, évoquant davantage le meurtre que l’érotisme.

À la question de Leporello rapportée dans sa note d’intention (« Maître, qui est mort, vous ou le vieil homme ? »), Davide Livermore entend apporter une réponse qui est celle, intemporelle, de l’affrontement entre l’élan révolutionnaire dionysiaque et le conservatisme, incarné par le Commandeur. D’où un duel, répété à plusieurs reprises, dont Don Giovanni sortira plusieurs fois vaincu, par « le personnage dominant de notre temps », sans que cela explique pourquoi le Commandeur devient ici un mafieux, sortant d’une imposante berline (crissements de pneus, là encore), avec deux gardes du corps impavides derrière leurs lunettes noires.

Rien de tout cela ne dérange notre connaissance de Don Giovanni, mais l’illustration est de belle facture, souvent spectaculaire, et il serait vain de bouder son plaisir. D’autant que le plateau est de qualité, et laisse entendre un Mozart bien souvent radieux.

Lourdaud et hargneux, le Masetto d’Igor Bakan est fidèle au personnage, un zeste d’ambiguïté en plus, et s’accorde évidemment très mal avec la gracieuse Zerlina d’Annalisa Stroppa, dont les « Batti, batti », joliment chantés, s’accompagnent d’un rituel sado-maso assez étonnant (elle termine l’air en piétinant doucement son amoureux de ses talons).

Peu convaincante au premier acte, Karine Deshayes livre au deuxième une superbe Donna Elvira, avec un « Mi tradi » de haute tenue, diction et projection parfaites, aigus ciselés, qui force l’admiration. Parfois en difficulté dans le haut du registre, mais dotée d’un beau timbre, Mariangela Sicilia donne à Donna Anna une profondeur d’incarnation qui fait trop souvent défaut.

Don Ottavio est admirablement chanté par un Stanislas de Barbeyrac en grande forme, qui offre « Il mio tesoro » avec une grâce et un raffinement éminemment mozartiens (quel souffle !), après avoir livré un magnifique « Dalla sua pace », parfois à peine susurré.

Parfaitement hâbleur, sûr de lui et élégamment violent, Erwin Schrott connaît toutes les facettes du rôle-titre, qu’il incarne brillamment, osant une manière de désinvolture bienvenue dans « Finch’han dal vino » ou « Deh vieni alla finestra ».

Son Leporello-chauffeur de taxi souffre sans doute, dans l’interprétation, d’une forme de gémellité trop accentuée, mais Adrian Sampetrean est vocalement sans reproche. Enfin, le Commandeur d’Alexei Tikhomirov bénéficie d’une sonorisation qui donne à son ultime scène une impressionnante allure de punition céleste.

L’Orchestre de l’Opéra de Lyon, sous la baguette de Frédéric Chaslin, offre un Mozart certes plus solennel que brillant (ainsi de l’Ouverture), mais se magnifiant dans l’éclat de certains pupitres, les vents notamment, parfaitement lumineux.

Une soirée moderne, sans excès, dont le plateau, à lui seul, suffit à justifier l’enthousiasme du public.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © ABADIE

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