Teatro alla Scala/RaiPlay, 18 mars
Les opéras de Kurt Weill sont devenus une vraie rareté à Milan, du moins depuis les mythiques années Strehler de la défunte Piccola Scala. Et il est vrai que ce couplage Die sieben Todsünden/Mahagonny-Songspiel, filmé sans public et retransmis sur le site internet du théâtre, le 18 mars, mais aussi sur RaiPlay, paraît quelque peu perdu dans l’espace géant de la salle scaligère, pas vraiment propice pour ce répertoire.
D’un autre côté, le parterre vide offre suffisamment de place pour s’étaler largement, les répétitions ayant, de surcroît, été marginalement perturbées par l’important cluster viral qui s’était déclaré, au début du mois, dans la troupe de ballet voisine.
Donc, un orchestre dispersé, devant un dispositif scénique léger, que la metteuse en scène Irina Brook a délibérément conçu « sans moyens, à partir d’accessoires, de décors et de costumes recyclés, sans gaspillage – une création éthique et organique ! ».
Esthétique pauvre, sur tréteaux, au-dessus d’une décharge jonchée d’objets en plastique : un bar miteux, tenu par un serveur musculeux en débardeur à paillettes, quelques tabourets et tables pour les chanteurs, un écran, au fond, pour des vidéos artisanales en noir et blanc… L’atmosphère est déliquescente, vaguement post-apocalyptique, mais scéniquement, c’est plutôt le service minimum, quelques arrière-plans un peu trash tenant trop souvent lieu d’idées fortes.
La difficulté du « ballet chanté » (« Ballett mit Gesang ») Les Sept Péchés capitaux (Die sieben Todsünden), dernière collaboration de Kurt Weill et Bertolt Brecht (Paris, 1933), est bien de trouver une illustration visuelle adéquate pour cette guirlande de turpitudes, aventures vécues dans sept villes américaines successives par deux sœurs, Anna I, la chanteuse, et Anna II, la danseuse. Soit on en fait trop, soit pas assez, et, de toute façon, à chaque fois, le temps accordé pour le faire est très court.
Ici, le sujet paraît plus effleuré que traité, mais heureusement, il y a le formidable ascendant pris sur le spectacle par l’Anna I de Kate Lindsey, digne relève de Lotte Lenya, créatrice du rôle, au Théâtre des Champs-Élysées. Le style de la mezzo américaine reste celui d’une vraie chanteuse d’opéra, moins rêche, plus policé que celui de son lointain modèle, mais quand même assez méchamment efficace.
De même pour la bonne présence physique de Lauren Michelle, qui ne chante que très peu, et d’ailleurs ici ne danse pas beaucoup, mais ne se laisse pas éclipser. Autour de ces deux protagonistes en miroir, un bon quatuor masculin, façon chœur antique, en train de siroter des verres au comptoir.
L’ensemble est admirablement soutenu par Riccardo Chailly, dans un style opulent, certes davantage post-romantique que canaille, mais splendide.
Par la suite, avec Mahagonny-Songspiel (Baden-Baden, 1927), l’inspiration d’Irina Brook semble s’essouffler encore davantage, là où la musique inciterait pourtant à trouver des moments d’onirisme imaginatifs. Et Riccardo Chailly, cette fois, semble tout aussi embarrassé, à la tête d’un orchestre réduit qui sonne sec.
Seule surprise : le moment d’abandon final, où toute la troupe se défoule sans complexes sur Whisky Bar, reprise d’Alabama Song par Jim Morrison et le groupe culte The Doors.
LAURENT BARTHEL
PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO