Deutsche Oper, 12 juin
Suite aux bouleversements dans la programmation causés par le Covid-19, le premier épisode de la nouvelle Tétralogie du Deutsche Oper, dévoilé au début de la saison 2020-2021, avait été Die Walküre. On en était sorti avec la conviction d’un travail approfondi et passionnant, mais aussi d’un excès d’images qu’on ne comprenait pas toujours (voir O. M. n° 166 p. 43 de novembre 2020).
Das Rheingold, représenté donc avec un an de retard, vient apporter quelques explications au concept général de Stefan Herheim. Ainsi, on découvre que le personnage ressemblant à Wagner, vêtu d’un pyjama rayé de camp de concentration, qu’on voyait, au final de Die Walküre, en train d’accoucher Sieglinde du futur Siegfried, était tout simplement Mime, ce qui n’est pas dépourvu de sens.
Dès le lever du rideau, on retrouve la thématique des réfugiés. Sur une scène presque vide, où trône un grand piano, alors que les lumières de la salle restent allumées, une quarantaine de figurants s’avancent lentement, portant leurs valises en cuir bouilli, à la fois craintifs et respectueux. L’un d’eux ouvre le couvercle du clavier, déclenchant les premiers sons qui montent de la fosse.
Des vidéos en forme de rayons laser figurent le Rhin, et c’est un moment d’émotion très fort que de voir ces êtres harassés se mettre peu à peu à bouger, à danser même, dans un fleuve dont les eaux leur apportent le bien-être – on découvrira, peu après, que les Filles du Rhin, mais aussi Alberich, sont parmi eux.
Dès le deuxième tableau, réapparaît l’autre élément clé de la scénographie, imaginée par Stefan Herheim et Silke Bauer : de grands draps blancs, soulevés par des filins. Ils deviennent ici, par la grâce des éclairages colorés d’Ulrich Niepel, une chaîne de montagnes, aux sommets rosés par le soleil levant. Et quand Fasolt et Fafner font leur entrée, ils sont dédoublés sous la forme d’immenses marionnettes, faites de draps et de valises.
Chacun des personnages est habilement caractérisé : Alberich en clown cabotin, Fricka et Freia en statues classiques, Froh et Donner en stars du disco, Loge en Belzébuth facétieux, le tout avec une bonne dose d’humour – les Nibelungen, habillés en soldats défilant en faisant le salut hitlérien, se mettent à danser au son des enclumes, comme les sbires de Monostatos sur le glockenspiel de Papageno, dans Die Zauberflöte.
La référence au national-socialisme n’est évidemment pas nouvelle, mais, pour une fois, elle n’est pas gratuite : les réfugiés ont l’allure de déportés, et l’or derrière lequel on tente de cacher Freia est constitué d’objets qu’on imagine volés par les nazis.
La mise en scène est nourrie d’une force théâtrale constante, qui s’appuie d’abord sur la partition, mais également sur une grande culture et une intelligence brillante. De plus, la dimension politique n’empêche jamais l’émotion. Ainsi quand Freia, en plein syndrome de Stockholm, peine à se séparer de Fasolt, qui met un genou à terre pour lui offrir l’anneau remis par Wotan. Paradoxalement, ce dernier semble avoir moins inspiré Stefan Herheim, qui le présente comme un être assez fade, vêtu de blanc, jouet des événements davantage qu’ordonnateur.
Sans véritables vedettes, le plateau est globalement de bon niveau. Trois chanteurs se détachent, cependant : le ténor belge Thomas Blondelle, fabuleux Loge, à la ligne vocale raffinée ; le baryton allemand Markus Brück, Alberich somptueux d’aisance et de force ; et la basse américaine Andrew Harris, Fasolt bouleversant, au lyrisme exacerbé.
La direction de Donald Runnicles doit être à nouveau saluée pour sa fluidité, son sens du théâtre et son aptitude à faire briller un orchestre du Deutsche Oper en grande forme, sauf du côté des enclumes, aux sonorités un rien rachitiques.
NICOLAS BLANMONT
PHOTO © BERND UHLIG