Philharmonie, Grande Salle, 15 janvier
Le mauvais sort s’est-il acharné sur cette Damnation de Faust qu’on annonçait, dans le programme de saison, avec une distribution entièrement française, et dont on attendait beaucoup ? Le Faust de Jean-François Borras, le Méphistophélès de Ludovic Tézier, la Marguerite de Karine Deshayes : comment ne pas être alléché par un tel trio ?
Hélas, deux fois. Face à la défection de Jean-François Borras, la Philharmonie de Paris a fait appel à Paul Groves, familier d’un rôle qu’il chantait déjà à Salzbourg, en 1999. Le temps a passé, le timbre du ténor américain a perdu de sa fraîcheur et de ses couleurs, l’aigu bouge et se tend – le duo du III avec Marguerite s’en ressent ; le soin apporté à l’élocution française et au phrasé, de même que l’intelligence de l’artiste, arrivent à sauver les meubles.
Après le retrait de Ludovic Tézier, Ildebrando D’Arcangelo a accepté de le remplacer. Malheureusement indisposé, en ce soir du 15 janvier – le lendemain, Paul Gay lui succèdera –, le baryton-basse italien se fait excuser à l’entracte. Difficile, dans ces conditions, de porter un jugement sur son Méphistophélès, sinon pour déplorer un accent à couper au couteau.
Fort heureusement, la présence de Karine Deshayes est un réconfort. Cette Marguerite à la voix longue, souple, charnue, à la ligne musicale expressive et raffinée, traduit la passion et les tourments de l’amante délaissée, et involontairement meurtrière, avec une pudeur et une émotion d’une irrésistible sincérité.
L’Orchestre de Paris, son Chœur et son Chœur d’enfants assurent leur partie avec efficacité et enthousiasme. Quant à Tugan Sokhiev, son Berlioz a du panache, de l’ardeur ; ni pathos ni histrionisme inutiles, dans cette vision franche et ouvertement théâtrale, que le compositeur n’aurait pas désavouée.
On en regrette d’autant plus les carences vocales d’une soirée à laquelle le public a pourtant réservé un accueil chaleureux.
MICHEL PAROUTY