Comptes rendus Création réussie à Lille
Comptes rendus

Création réussie à Lille

13/03/2019

Opéra, 6 mars

Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille, associée à Angers Nantes Opéra, Rouen et Rennes (en 2020 et 2021), a eu la bonne idée de réunir le compositeur Gérard Pesson (né en 1958) et l’homme de spectacle David Lescot. Du premier, Lille avait représenté le « vaudeville moderne » La Double Coquette, en 2017 ; au second, la maison avait offert sa première mise en scène d’opéra avec The Rake’s Progress, en 2011. Cette conjonction donne aujourd’hui Trois Contes, dont David Lescot, outre la mise en scène, signe le livret, en trois parties : La Princesse au petit pois (Hans Christian Andersen), Le Manteau de Proust (Lorenza Foschini) et Le Diable dans le beffroi (Edgar Allan Poe).

Aux réticents qui pouvaient craindre de ne pouvoir entendre la musique si discrètement affûtée du compositeur de Forever Valley, Beau Soir et autre Pastorale, le ton est donné d’entrée de jeu par une articulation sonore musculeuse, percussive et bien cuivrée. Fidèle à un style qui picore un peu partout, avec un large éventail de filtres en tout genre, citations abruptes, tronquées, transposées ou parodiées, puisées dans l’histoire de la musique, avec une référence récurrente à L’Enfant et les sortilèges de Ravel, Gérard Pesson se rapproche de son aîné Michaël Levinas – qui, lui aussi, jongle avec virtuosité et humour dans l’antichambre de la mémoire.

Aux côtés de Richard Strauss, Mahler, Debussy et Ravel (ainsi que Stockhausen ?), se mire également la chanson française, de Barbara à Elli Medeiros (Toi, mon toit), en passant par Cha ba da ba da de Francis Lai et Pierre Barouh… Somme toute, un art « trans » éminemment dans l’air du temps, déjà revendiqué par le compositeur dans La Double Coquette, où il pimentait de vingt-quatre « additions » un opéra du XVIIIe siècle, La Coquette trompée de Dauvergne.

Le premier conte, La Princesse au petit pois, probablement le plus réussi et le plus séduisant dans l’art de faire crépiter geste et musique en un seul souffle, est un spectacle à la fois envoûtant (le jardin enchanté de L’Enfant et les sortilèges est abondamment cité) et cocasse, dans l’esprit des Mamelles de Tirésias de Poulenc. La trame du conte, très bref et énigmatique, d’Andersen est « soumise à six répétitions-variations, car lorsqu’on raconte la même histoire à l’enfant qui la réclame chaque soir, elle est à chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre » (David Lescot).

On s’amuse beaucoup de ces décalages, omissions, ralentissements ou accélérations, avec ajout de personnages (deux Princesses pour un seul Prince !), portes qui claquent et fin tragique… Le Roi, merveilleux et toujours enthousiaste, du baryton Marc Mauillon, la Reine de la mezzo Camille Merckx, et la si spirituelle soprano Maïlys de Villoutreys, qui passe avec aisance du baroque au contemporain, sont à la fête avec ce spectacle élégamment troussé et bien soutenu par l’ensemble Ictus, placé sous la baguette de Georges-Elie Octors, son directeur musical.

Les mêmes protagonistes se retrouvent dans le second conte, Le Manteau de Proust, imaginé à partir du livre de Lorenza Foschini, touchant et authentique récit de la vie d’un collectionneur fortuné, reconstituant le mobilier de la chambre de Proust, ainsi que plusieurs de ses effets, dont sa fameuse pelisse noire, léguée au musée Carnavalet.

Changement d’atmosphère : ici, la musique se veut « effacée, mystérieuse, allusive, faite de silhouettes et de souvenirs » (David Lescot). Elle apparaît plus narrative, inquiète et dense, comme si la parole, plus parlée que chantée, décrivait les affres d’une passion démesurée et obsessionnelle – peut-être aussi un portrait en filigrane du compositeur, lui aussi collectionneur…

Si l’on songe lointainement au cadre de La Voix humaine de Poulenc pour ce Manteau, on revient à l’esprit bouffe de l’entre-deux-guerres (Satie, Stravinsky, Ravel, Schoenberg, Weill…) pour le troisième conte, bref et cinglant, Le Diable dans le beffroi, adapté de Poe. Un ensemble choral hoquetant sur une musique dégingandée et étirée comme une litanie, où l’on admire une dernière fois le sens esthétique du metteur en scène et de ses collaborateurs.

FRANCK MALLET

PHOTO © SIMON GOSSELIN

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