Teatro alla Scala/www.teatroallascala.org, 23 janvier
Le Cosi fan tutte mis en scène par Michael Hampe, créé à Salzbourg, à l’été 1982, avait été remonté à Milan, dès l’année suivante, puis en 1989 et en 2007. Dans cette reprise, confiée à Lorenza Cantini, on revoit avec plaisir, imaginés par le regretté Mauro Pagano (1951-1988), son beau décor de la baie de Naples et ses costumes XVIIIe soignés.
Mais, sur le plan théâtral, comment croire à ce jeu de conquête et de résistance amoureuse, quand les normes sanitaires imposent une distanciation physique prudente ? Baisers volés et enlacements furtifs disparaissent, à l’instar des savantes figures géométriques de groupes, se faisant et se défaisant au gré d’une forme musicale en perpétuelle recomposition. Drôle de Cosi, interrogeant les intermittences du cœur dans la distance des corps !
Musicalement, on reste aussi un peu frustré. Remplaçant Antonio Pappano, initialement annoncé, Giovanni Antonini, fort de son succès dans Giulio Cesare, en 2019, n’apporte pas grand-chose dans Mozart. On ne perçoit guère, en particulier, ce travail sur l’articulation, dont il parle pourtant fort bien à l’entracte ! En revanche, on note des attaques molles ou imprécises, spécialement dans les récits accompagnés. Après une Ouverture menée tambour battant, voire carrément bousculée, sa direction se fait plus banale, sans beaucoup de subtilité.
Du coup, les chanteurs ne sont guère incités à échapper à la tradition, voire à respecter les nuances – c’est, en tout cas, ce que l’on perçoit dans une prise de son un peu saturée. Ainsi, le Guglielmo viril d’Alessio Arduini ne se départ pas d’une certaine convention expressive, chant sonore, sans doute, mais trop souvent grasseyant.
Emily D’Angelo, quant à elle, impressionne par sa voix cuivrée, puissante et homogène, même si cette recherche constante du beau son finit par lasser. Ceci posé, à 26 ans, la mezzo canadienne, dotée d’une réelle aisance scénique et d’un instrument somptueux, a le temps de mûrir sa Dorabella.
Soprano léger à l’origine, Eleonora Buratto se tourne désormais plutôt vers Mimi (La Bohème), Elvira (Ernani), et bientôt Desdemona (Otello). La voix, hélas, sonne alourdie, avec des registres déséquilibrés : grave grossi, médium fragile, aigu souvent à l’arraché. Sa Fiordiligi n’en reste pas moins attachante, comme en témoignent un émouvant « Per pietà » et, plus encore, un bouleversant duo « Fra gli amplessi », grâce à un Ferrando déployant des trésors de sensibilité et de séduction.
Très remarqué dans le même rôle au dernier Festival de Salzbourg, Bogdan Volkov, après son « Un aura amorosa » tout en demi-teintes, se montre un peu trop prudent dans la véhémence de « Tradito, schernito ». Mais son Ferrando confirme un ténor lyrique léger soucieux de ligne, à l’aigu haut placé.
La Despina de la toute jeune Federica Guida (23 ans seulement) manque de charme et d’esprit, avec une voix souvent trop nasale. Vétéran de l’équipe et dominant le plateau, Pietro Spagnoli est idéal en Don Alfonso, acteur consommé, et sans égal dans l’art de mettre en valeur le texte.
Saluons, pour finir, l’heureuse idée de pallier l’absence de public dans la salle – et donc d’applaudissements –, en faisant saluer chanteurs et chef sur un joli pot-pourri au pianoforte, nous épargnant ainsi le silence glacé concluant beaucoup de retransmissions actuelles.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO