Opéra, 29 mai
Une lande, couverte de hautes herbes ; au milieu, un chemin de terre, venant du fond, entre deux talus ; et sur l’un, un grand arbre mort, dont une longue branche s’élance vers le centre du plateau ; le tout dans une boîte scénique faite de parois grisâtres, où d’autres végétations sont esquissées… Avec ce décor unique, Barrie Kosky joue résolument, et peut-être plus encore que Laurent Pelly dans la récente production bruxelloise (voir O. M. n° 125 p. 43 de février 2017), la carte du sombre, du sinistre même.
À bon droit pour cette œuvre amère et grinçante, où Rimski-Korsakov – qui ne l’a jamais entendue – a joué la fin de sa carrière et de sa vie même, et dont un contresens persistant voudrait faire le dernier de ses chatoyants contes orientaux. La référence, voulue à l’origine par le compositeur, aux dessins fantastiques en noir et blanc d’Alfred Kubin était, à cet égard, particulièrement pertinente.
Le I fait une ouverture fracassante, avec cette cour du Tsar Dodon composée d’hommes-chevaux, à la façon des cavaliers d’un échiquier, qui déboulent au galop du chemin avant de parcourir allégrement la lande, rejoints, à la fin de l’acte, par un extravagant cheval articulé, dans la manière de Kubin encore, sur lequel monte Dodon pour partir au combat. Et un Coq d’or tout humain, en revanche, incarné par le comédien Wilfried Gonon, perché en haut de l’arbre, son irrésistible cocorico étant lancé par l’excellente soprano Maria Nazarova depuis la coulisse.
Le III retrouvera la même verve éblouissante, concluant sur la morale énoncée par l’Astrologue, avec dans la main sa tête coupée par le Tsar, et qui pourtant chante encore ! Tandis que le Coq avale sauvagement les yeux qu’il a arrachés à ce dernier…
Entre les deux pourtant, la production achoppe, après beaucoup d’autres, sur le très long épisode de la Reine de Chemakha, dans ce décor minimaliste, sans tente chamarrée donc, avec sa voix seule pour séduire, l’accompagnement lugubre des corps des deux princes décapités pendus par les pieds, et quatre bons danseurs.
C’est trop peu pour éviter l’ennui, et la production bruxelloise, très discutable aussi à cet endroit difficile, reprendrait presque alors l’avantage. Sans compter quelques « ficelles », comme cette plate déambulation de l’Astrologue devant le rideau baissé, entre les actes.
Le plateau est dominé par le brillant Dodon de Dmitry Ulyanov, puissante basse bien timbrée, à l’opposé des tsars falots à l’excès qu’on a pu voir dans le rôle – avec, au contraire, d’autant plus de relief donné à sa couardise, sa bassesse, et même son ignominie. Excellent acteur, de surcroît, qui sait chanter bêtement et danser sottement, comme il convient, sans être pour autant ridicule.
Ses deux fils, en complets-vestons contrastant avec son dérisoire maillot de corps et caleçon long, sont honorables dans leurs rôles très épisodiques. Mischa Scheliomanski donne une belle présence au personnage ingrat du Général Polkan. Et Margarita Nekrasova, avec ses graves abyssaux, campe une savoureuse Amelfa.
Les deux (petits) bémols viendraient plutôt des deux rôles clés. Andrei Popov donne un Astrologue presque trop projeté et puissant, qui ne correspond pas au « ténor altino » explicitement voulu par Rimski-Korsakov. Ce dernier précise seulement, dans sa note de 1907 ajoutée à la partition, que « cette voix rare pourra être substituée par celle plus ordinaire de ténor lyrique léger, avec une bonne et forte voix de tête ». C’est bien le cas ici, mais le « rare » était présent dans l’enregistrement de référence Melodiya, publié vers 1962, avec l’extraordinaire Gennady Pishchayev, et c’est tout autre chose !
Quant à Nina Minasyan, elle est non moins irréprochable, de vocalisation impeccable, avec les impressionnants suraigus demandés, jusqu’au glaçant contre-mi, et le timbre lisse et soyeux fait merveille dans les enroulements de ses ensorcelantes arabesques, avec d’ineffables pianissimi. Lui manque, pourtant, la dimension terrifiante de cette nouvelle Reine de la Nuit ; et l’actrice, par ailleurs d’une plastique digne de Salomé, reste, à cet égard aussi, trop limitée.
Très sollicité, et également brillant en scène, le Chœur de l’Opéra est à son niveau d’excellence, un peu moins l’Orchestre, du côté des cordes surtout, mais Daniele Rustioni l’enlève avec une visible et irrésistible jubilation. Un triomphe d’ensemble que la salle lyonnaise, au plein de sa jauge, sait réserver à ses meilleures productions.