Concerts et récitals Un Don Giovanni animal et raffiné à Rouen
Concerts et récitals

Un Don Giovanni animal et raffiné à Rouen

01/05/2024
Peter Kellner (Leporello), Huw Montague Rendall (Don Giovanni) et Ben Glassberg (de dos). © Marion Kerno/Agence Albatros

Théâtre des Arts, 20 avril

Des réductions budgétaires ont transformé, en simples concerts, la production de Don Giovanni, prévue à l’Opéra de Rouen Normandie. On sait, toutefois, qu’une version concertante, si elle est donnée par une équipe soudée, avec une habile animation scénique à l’appui, peut fort bien nous combler.

C’est le cas, ici, grâce à un Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie tendu, nerveux, dynamique – fait d’instruments d’aujourd’hui (les cordes) et historiques (les cuivres, splendides) –, qui ménage les moments de vertige attendus. Grâce, aussi, à Ben Glassberg, qui nous offre une direction telle qu’il la définit, lui-même : animale et raffinée. Le pianoforte est à son affaire dans les récitatifs, accompagnés avec une réelle imagination, même si ses interventions, dans certains airs et ensembles, n’ajoutent rien, sinon une couleur inhabituelle.

Au fil des trois soirées (nous avons assisté à la dernière), les solistes ont pu mettre à l’épreuve leur cohésion. Chantant, presque tous, sans partition, ils multiplient les entrées et les sorties, avec une joyeuse pétulance. Un couloir légèrement surélevé, à l’avant-scène, devant l’orchestre, leur permet d’évoluer, voire de fuir par la salle – Don Giovanni et Leporello, à la fin du I. Il y a là beaucoup d’animation, ce qui souligne la personnalité de chacun.

La soprano britannique Nardus Williams est majestueuse en Donna Anna, qu’elle incarne avec une espèce de hauteur, laissant peu de place à l’expression de la vengeance. Ce qui ne l’empêche pas d’être magnifique dans le récitatif agité « Don Ottavio, son morta ! », précédant « Or sai chi l’onore ». Par contraste, la Donna Elvira de Yaritza Véliz jouerait presque la carte du mélodrame, de la pauvre fille séduite et abandonnée. Chez la soprano chilienne, la véhémence l’emporte sur la beauté du chant.

Si le timbre manque de chaleur, la maîtrise technique du ténor américain Eric Ferring fait des deux airs de Don Ottavio, des moments réellement suspendus – d’autant que le premier, « Dalla sua pace », est accompagné par un orchestre qui, à cet instant, atteint à un degré ineffable de douceur.

La soprano suédoise Johanna Wallroth est exquise en Zerlina, face au baryton-basse américain Anthony Reed, Masetto encore assez fruste. Le Danois Nicolai Elsberg impose, quant à lui, un vrai timbre de basse et un volume sonore considérable, ce qui n’est pas toujours le cas dans le rôle du Commandeur.

Bondissant, drôle, le Leporello du baryton-basse slovaque Peter Kellner forme un duo complice avec Huw Montague Rendall, qui interprète le rôle-titre pour la première fois. Lui aussi est très à l’aise sur scène, sans céder à un trop-plein d’effervescence. Le voici qui enlève sa veste et se retrousse les manches, avant de tuer le Commandeur. Ou qui chante sa « Sérénade », tranquillement assis près du mandoliniste.

Ni excessivement viril, ni monumental, c’est un Don Giovanni mobile, juvénile, qui n’a rien d’un séducteur blasé. Le timbre du baryton britannique est léger, mais le tempérament est là, et le personnage gagnera beaucoup, avec un surcroît de cynisme dans l’incarnation.

Voilà, en tout cas, une soirée galvanisante.

CHRISTIAN WASSELIN

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