Basilique, 31 mai
Le Stabat Mater de Rossini est, décidément, l’une des œuvres avec lesquelles Myung-Whun Chung entretient des affinités toutes particulières. Dès 1985, au Théâtre des Champs-Élysées, avec un quatuor imbattable (Lella Cuberli, Lucia Valentini Terrani, Chris Merritt, Samuel Ramey), nous avions été impressionné par sa maestria, confirmée dans son enregistrement de studio, avec Luba Orgonasova, Cecilia Bartoli, Raul Gimenez et Roberto Scandiuzzi (Deutsche Grammophon, 1995).
Le miracle s’accomplit, à nouveau, dans ce concert d’ouverture de l’édition 2022 du Festival de Saint-Denis. Retrouvant l’Orchestre Philharmonique de Radio France, dont il fut le directeur musical entre 2000 et 2015, le chef coréen installe, par le frémissement lancinant des cordes graves, par la plainte déchirante des violons dans l’aigu, le juste climat de tragédie dans l’Introduction. La suite sera tour à tour orageuse, jubilatoire, recueillie, enflammée, dans le parfait respect des équilibres propres à cette partition complexe, où sacré et profane s’entremêlent de manière subtile.
Préparé par Lionel Sow, le Chœur de Radio France sonne franc et compact, avec un pupitre de sopranos nettement plus agréable à écouter qu’il y a une dizaine d’années. Le son est homogène, le chant nuancé, notre seule réserve concernant la première minute de l’Amen final, pâteuse et brouillonne – l’acoustique très réverbérée de la Basilique n’arrange rien.
Peu homogène, le quatuor soliste vaut pour ses individualités. Écartons d’emblée Chiara Amarù (remplaçant en dernière minute Marianna Pizzolato), plus présente qu’en mai 2019, dans l’immensité de la Grande Salle de la Philharmonie de Paris (voir O. M. n° 152 p. 72 de juillet-août), techniquement en place, mais assez ordinaire.
Vraie basse, au timbre riche et au grave profond, Gianluca Buratto est plus impressionnant qu’émouvant. Son Pro peccatis éclatant, aux aigus poussés, laisse de côté le clair-obscur cher à Rossini, au risque de transformer le morceau en un simple tour de force.
Selene Zanetti, que nous n’avions personnellement jamais entendue, est une artiste au timbre attachant, au phrasé varié, dont les écarts meurtriers d’Inflammatus mettent l’endurance à rude épreuve, avec deux contre-ut finaux à l’arraché. Myung-Whun Chung ne lui facilite certes pas la tâche, en déchaînant son orchestre, mais on s’interroge sur l’avenir de cette jeune soprano, taillée pour Mimi (La Bohème) et Liù (Turandot), que l’on sent prête à toutes les folies (voir son Hélène des Vêpres siciliennes, à Palerme, en janvier 2022, dont elle n’était venue à bout qu’en « marquant » au dernier acte).
Dominant les débats, Xabier Anduaga est ahurissant de facilité et de puissance. Le timbre ensoleillé du ténor espagnol fait merveille dans ses trois interventions, notamment un Cujus animam conduit avec autant d’énergie que de souplesse, couronné d’un contre-ré bémol décoiffant. De quoi envisager le futur sous les meilleurs auspices, à condition, bien sûr, de ne pas brûler les étapes !
RICHARD MARTET