Concerts et récitals Le Grand Macabre en français à Paris
Concerts et récitals

Le Grand Macabre en français à Paris

19/12/2023
Sarah Aristidou (Vénus, Gepopo). © Dimitri Scapolan

Maison de la Radio et de la Musique, Auditorium, 2 décembre

« Que la foudre aille te foutre ! (…) Aïe ! Ouille ! Aïe ! » Bienvenue à Breughelland, où règnent Nekrotzar et Go-Go, héros burlesques et décadents du Grand Macabre de György Ligeti (1923-2006). Ce joyeux attirail baroque débarque, dans un concert de klaxons, à l’Auditorium de Radio France, point culminant d’une programmation célébrant le centenaire du compositeur, dans le cadre du Festival d’Automne, à Paris.

S’il s’agit de la version révisée, en 1996, sur un livret en anglais – créée, un an plus tard, au Festival de Salzbourg, sous la baguette d’Esa-Pekka Salonen et dans une mise en scène de Peter Sellars, puis reprise au Théâtre du Châtelet –, Arnaud Arbet s’est chargé, pour l’occasion, d’une nouvelle traduction en français, respectant la volonté du compositeur qu’à chaque représentation de son opéra dans le monde, la langue locale soit utilisée.

Cette farce noire, peuplée d’êtres chimériques, de démons truculents et vulgaires, est ici mise en espace par Benjamin Lazar. Limitée à une rampe équipée de néons et à des poursuites, imitant aussi bien le trajet d’une comète que les projecteurs d’une défense anti-aérienne, la scénographie ne vient pas surcharger la narration, qui déborde naturellement d’un fracassant déluge d’images.

La circularité de l’architecture et les moyens techniques de l’Auditorium auraient, sans doute, permis des effets plus audacieux qu’un chœur planté à l’arrière-scène, fort heureusement rehaussé par la vibrionnante Sarah Aristidou, soprano protéiforme, en Vénus et Gepopo.

L’excellence du plateau vocal apporte ce qui manque visuellement à cette œuvre, tenant à la fois de la pantomime et des mystères médiévaux, entremêlant un joyeux et inquiétant bazar, où l’on retrouve l’atmosphère empoisonnée des Breughel, de Jérôme Bosch, James Ensor ou Félicien Rops.

Le baryton Robin Adams est Nekrotzar, ce personnage à mi-distance entre l’ange de la mort et le pur charlatan, annonçant la fin du monde avec une faconde cruelle, qui disparaît dans l’ivresse et la fornication. Son double despotique et dérisoire est Go-Go, campé de belle manière par le contre-ténor Andrew Watts, peu avare en effets et vocalises en voix de tête.

Aux côtés du solide Astradamors de la basse Olivier Gourdy et du pleutre Piet du ténor Matthieu Justine, la contralto Lucile Richardot assure le spectacle, en surlignant les contours pervers et névrotiques de sa Mescalina.

Le Chœur et la Maîtrise de Radio France imitent les effets d’une foule haineuse et rigolarde, saisie dans une impressionnante lueur rouge vif, confondant le vin et le sang, qui signent l’épilogue rabelaisien : « Buvons en attendant la Mort. »

Le tout est tenu par la direction rigoureuse de François-Xavier Roth, maître d’œuvre de l’entreprise, où l’absence de réelle mise en scène transforme l’Orchestre National de France en acteur principal de ce théâtre sonore, dans lequel jaillissent intertextualité et mélange des styles. La lisibilité du geste guide l’écoute à travers un champ miné, fait de rythmes complexes, de collages de citations, et d’effets à la fois grandiloquents (sirène, fracas des cuivres) et microscopiques (tic-tac du réveille-matin ou du métronome).

DAVID VERDIER

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