Théâtre des Champs-Élysées, 2 février
Rinaldo est de retour au Théâtre des Champs-Élysées, dans la version originale de 1711, tout de même plus gratifiante que celle de 1731, donnée en juin 2018 (voir O. M. n° 141 p. 72 de juillet-août). Un plateau vocal époustouflant pulvérise, au demeurant, le souvenir des concerts récents.
Au premier rang, le Rinaldo de Carlo Vistoli. Dans une forme éblouissante, le contre-ténor italien triomphe de la lourde charge de ses sept airs, avec une maîtrise confondante, où tout est réuni : la perfection technique – un ébouriffant « Abbrucio, avvampo e fremo », entre autres –, non moins que l’incessante palette de nuances, la maîtrise des phrasés, la beauté du timbre, tant dans les aigus, très purs, que, sans hiatus, dans le chaleureux médium et des graves toujours bien soutenus.
L’interprète y ajoute une grande intelligence du personnage, constamment habité et magistralement dominé, et dont on apprécie la virilité héroïque, libérant le héros éponyme du caractère trop angélique et éthéré qu’on rencontre bien souvent.
À ses côtés, le Goffredo de Lucile Richardot fait une entrée qui, à coup sûr, garantit la future victoire de son armée. Émission, de fait, constamment conquérante, autorité souveraine, impétuosité irrépressible de l’engagement dans le jeu de scène, la mezzo française apparaît aussi ravageuse que parfaitement disciplinée, et intensément expressive.
Le contraste est idéal avec l’Almirena de la soprano suisse Chiara Skerath, d’une constante séduction, mais capable, également, de sursauts d’autorité voulue, comme de l’émotion touchante, poignante même, de « Lascia ch’io pianga », dont on voudrait voir, encore, prolongé le temps suspendu.
La soprano hongroise Emöke Barath assure une Armida non moins idéalement contrastée, avec une présence et un tempérament d’exception, qui bouleversent dans ce sommet qu’est sa grande scène « Dunque i lacci… Ah ! crudel ».
Quant à la contralto française Anthea Pichanick, la chaleur et le moelleux d’une voix souple, donnant toute sa densité à la plainte d’entrée du II, « Siam prossimi al porto », ramènent Eustazio, dont on n’attendait pas forcément autant de relief, au premier plan.
Enfin, le baryton français Victor Sicard, remplaçant Andrea Mastroni, d’abord annoncé, s’il n’a, peut-être, pas des moyens aussi exceptionnels, compense largement par la vigueur conférée, jusqu’au bout, à Argante.
Thibault Noally, lui-même très performant au violon, pour le finale du I, assure une impeccable mise en place, à la tête de son ensemble Les Accents, particulièrement appréciable, non seulement pour l’homogénéité et la beauté des cordes, mais aussi pour ses solistes – flûtes, flageolet et basson, tout particulièrement –, dans leurs missions souvent délicates.
FRANÇOIS LEHEL