Grand Théâtre, 12 juin
En conclusion de notre compte rendu de l’ultime représentation de la nouvelle production de l’Opéra de Dortmund (Oper Dortmund), le 22 mai dernier (voir O. M. n° 184 p. XX de juillet-août 2022), nous avouions notre impatience de réentendre Frédégonde à Tours, en regrettant par avance le choix d’une version de concert. La matinée du 12 juin a confirmé, à la fois, nos premières impressions et nos craintes.
À Dortmund, nous avions été ébloui par les beautés de la partition, écrite, rappelons-le, « à six mains » (Ernest Guiraud, Camille Saint-Saëns et, pour l’orchestration des trois premiers actes, Paul Dukas). À Tours, sans mise en scène, ni la moindre interaction entre les chanteurs, nous avons perçu quelques longueurs, au I, en particulier. Elles ne retirent rien au fort impact global de l’ouvrage, mais soulignent à quel point la version de concert stricto sensu, avec les solistes alignés de part et d’autre du chef, ne peut être qu’un pis-aller, encore plus frustrant s’agissant un opéra à grand spectacle.
Par rapport à Dortmund, le premier atout de la distribution réunie à Tours est la netteté de son élocution. Vocalement, les quatre chanteurs principaux sont à leur place, à la regrettable exception de Kate Aldrich, une fois encore fourvoyée dans un emploi de mezzo-contralto qui lui échappe. Comme en Fidès du Prophète, à Toulouse, en 2017, la cantatrice américaine est constamment prise au piège de la tessiture de Frédégonde, beaucoup trop basse pour elle. Creusant le grave jusqu’à la caricature, elle lâche quelques aigus rayonnants ici et là, sans faire illusion un seul instant.
Handicapée par une entorse qui l’oblige à s’appuyer sur une béquille, Angélique Boudeville sonne inévitablement crispée au premier acte et sa diction s’en ressent. Les choses s’améliorent ensuite, la soprano française possédant le format exact de Brunhilda : émission facile, aigu charnu et puissant, médium robuste.
Hilpéric réclame un Hérode (Hérodiade) ou un Athanaël (Thaïs), deux emplois dans lesquels on imagine très bien Tassis Christoyannis, à ce stade de sa carrière. Le baryton grec accomplit, une fois encore, un sans-faute.
Florian Laconi trouve en Mérowig un rôle convenant à ses moyens actuels. Il a le métal dans le timbre et l’héroïsme qui faisaient défaut à Sergey Romanovsky, à Dortmund. Moins séducteur que lui dans les passages de douceur, il le surclasse dans les éclats de vaillance. Mais pourquoi appuyer autant les aigus, parfois au bord de la rupture ?
L’autre ténor de l’équipe, Artavazd Sargsyan, hisse Fortunatus au statut de premier plan, grâce à son phrasé idéalement poétique et châtié. Jean-Fernand Setti, avec sa voix tonnante et sa présence imposante, confère énormément de relief à Prétextat, Yuri Kissin rendant pleine justice aux quelques phrases de Landéric.
Les chœurs (Opéra de Tours et Opéra National du Capitole de Toulouse réunis) tirent leur épingle du jeu, avec une mention pour les enfants de la Maîtrise du CRR de Tours. Leur présence, indiquée sur la partition, confère sa juste couleur au Pange lingua du III, que Dortmund avait confié à des voix de femmes nettement moins en situation.
Dommage que Laurent Campellone ait été contraint, faute du temps de répétition nécessaire, de couper le très beau « Ballet » du III, entièrement de la main de Saint-Saëns. Pour le reste, sa direction confirme ses extraordinaires affinités avec le répertoire français de la deuxième moitié du XIXe siècle, dont il est aujourd’hui l’un des meilleurs serviteurs au monde. L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours le suit avec enthousiasme, apportant une contribution déterminante à la réussite du concert.
Il faut enfin remercier Laurent Campellone, cette fois sous sa casquette de directeur général de l’Opéra de Tours, d’avoir affiché Frédégonde, avec le concours toujours précieux du Palazzetto Bru Zane. Plus que jamais, il s’inscrit dans les pas de l’immense Michel Plasson, ardent défenseur de la musique française, qui programma, dirigea et/ou enregistra, pendant ses différents mandats à Toulouse (1968-2003), des raretés comme La Reine de Saba de Gounod, Hérodiade de Massenet, Les Huguenots de Meyerbeer, Padmâvatî de Roussel, Guercœur de Magnard…
RICHARD MARTET