Palazzetto Bru Zane, 27 & 28 septembre
Week-end d’ouverture du Festival d’automne (du 27 septembre au 28 octobre) au Palazzetto Bru Zane, avec deux concerts de musique légère, pour célébrer le bicentenaire de la naissance d’Hervé – ami et rival d’Offenbach, que l’institution vénitienne a largement fait redécouvrir ces dernières années – tout en contribuant à casser l’image élitiste encore trop souvent associée à cette maison.
Samedi soir, la Scuola Grande San Giovanni Evangelista, ravissante petite église du XIIIe siècle, accueillait le Quatuor Opale, quatre jeunes chanteurs lyriques qui, entre leurs engagements individuels, trouvent le temps d’explorer le répertoire d’ensemble (opéra, « opéra-comique », opérette et musique de chambre) du XIXe siècle. Un petit vent de folie souffle sur ce programme French Touch, recelant maintes pépites, dénichées pour la plupart par Alexandre Dratwicki, signées Hervé, Offenbach, mais aussi Messager, Delibes, Varney, Planquette, Rey ou Roger, en une belle alternance de quatuors, trios, duos, et airs avec chœur, interprétés avec une énergie et une verve complice – ainsi que moult jeux de scène, intégrant à l’occasion les pupitres ! – qui n’excluent nullement une grande précision musicale.
À l’initiative de l’ensemble en 2022, Jennifer Courcier fait valoir son soprano léger percutant, qui se marie bien avec le mezzo enveloppant d’Éléonore Pancrazi, comme toujours bête de scène et dont la voix chaude ne cesse de se bonifier. Enguerrand de Hys n’est pas en reste, ténor léger au chant parfaitement ciselé, trouvant une belle ampleur quand il joue au divo, mais sachant aussi contrefaire en nasillant un mauvais chanteur auditionnant devant un directeur, dans l’hilarant duo d’Un ténor sans engagement de Jean-Baptiste de Croze !
Enfin, Philippe Estèphe montre une réjouissante autorité de son baryton mordant – parfois un rien appuyé cependant –, tout en révélant à l’occasion ses talents de pianiste. Tout ce beau monde est soutenu par le piano spirituel d’Emmanuel Christien. Un premier rappel plus recueilli (Madrigal de Fauré) puis un inénarrable quatuor « de l’omelette » de Bizet (Le Docteur Miracle) achèvent de mettre en joie le public enthousiaste, convié ensuite à un petit verre.
Le lendemain après-midi, c’est au sein du Palazzetto qu’a lieu Parigi, la chitarra e tu, sous-titré « la Muse en goguette » : un programme entre romances XVIIIe et caf’conc’, de chansons badines, voire grivoises, mais qui jamais ne bravent l’honnêteté dans leur formulation, en apparence toujours très correcte, grâce à un jeu constant sur les sous-entendus et les doubles sens. Marc Mauillon y ose tout avec un naturel parfait, et ce timbre si particulier, voix caméléon qui s’autorise toutes les tessitures, des graves grasseyants de baryton aux aigus en falsetto, en passant par le ténor et le parlé. Avec une liberté totale, sans complexe ni limite, le chanteur enchaîne, grâce au soutien sûr mais délicat de Pascal Sanchez à la guitare romantique, chansons à boire salaces et saynètes de tous genres, avec une diction qui ne laisse perdre aucune syllabe.
Aux couplets misogynes de rigueur répond le vigoureux manifeste féministe de La Marseillaise des femmes (musique d’Eugène Déjazet), qu’il ponctue de battements de tambour. Il n’hésite pas davantage à emboucher un bigophone pour La professeuse de cornet à pistons (paroles et musique d’Hervé), comme à incarner à la fois une paroissienne énamourée (en fausset) et son confesseur complaisant (en baryton) dans la très culottée Confession de Mlle Tournesol ou Les Sept Péchés capitaux de Barthélemy Trille Labarre. Un concert très réjouissant.
THIERRY GUYENNE
