Espace Michel Croz 2, 7 août
Le Festival Chamonix Vallée Classics, lancé l’année dernière par David Joseph, s’implante peu à peu au pied du Mont-Blanc. Sa deuxième édition, en six concerts de musique de chambre et de piano solo, se clôturait sur un récital piano-voix, où le cabaret européen se mesurait au répertoire américain. On est frappé par la synergie de musique et de jeu entre Axelle Fanyo et Kunal Lahiry, qui embrassent chaque pièce dans leur potentiel de théâtre, jusqu’au bout. La diction miraculeuse de la soprano en français, allemand et anglais, apporte son lot d’impertinence, d’expérimentations de rythme et de dialogues féconds entre les deux instruments, toujours prompts à susciter la nouveauté, à capter une communion de résonance, à interpréter les silences.
Chez Weill et Poulenc, les doigts évoquent les textures de la Seine, jusqu’à jeter le voile de la nuit sur les doutes parisiens, pleins de rubato, ainsi que les clameurs secrètes de la ville ; dans les Brettl-Lieder de Schoenberg, peu de pédale, et les carrousels rieurs d’une fête foraine décatie. La voix s’investit au cœur du récit comme un bourgeon promet la fleur la plus colorée. Avec une remarquable élasticité et un souffle impérial, elle croque sans détour ses personnages, des sprints de Der genügsame Liebhaber à celle qui prêche le faux pour se convaincre d’une mélancolie déjà passée dans Je ne t’aime pas. Elle a exactement la prosodie Poulenc, ce mélange de langue qui avance, de déclamation qui prend son temps et d’ironie insouciante, qu’une création de Sofia Avramidou enrichit d’une palette extra-vocale.
Après l’entracte, les États-Unis inspirent sans doute à Axelle Fanyo des ports de voix un peu trop nombreux, mais continuent le rayonnement d’un espace unique de liberté sur le cours de la ligne. Au manifeste granitique et raffermissant de la chanteuse répond le fascinant rituel aux sonorités quasi industrielles de Kunal Lahiry, au fond des touches. L’écriture mirifique de William Bolcom fait également mouche : quand Axelle Fanyo réussit l’exploit de garder un contrôle absolu de la bizarrerie de la phrase, afin de synthétiser l’effusion en une histoire des plus consistantes, le piano transforme ses signaux jusqu’à une abstraction d’improvisation, dans des ombres chinoises en électrons libres digitaux. Elle et lui se sont bien trouvés. Leur écoute s’entend. Leur partage avec le public n’en est que plus poignant.
THIBAULT VICQ
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