Philharmonie, Grande Salle, 25 mai

Pour ce récital parisien, produit par « Les Grandes Voix », très attendu après les soubresauts ayant émaillé sa carrière depuis l’invasion russe en Ukraine, Anna Netrebko propose un programme hybride, mêlant airs d’opéras, mélodies et lieder.

On pourrait croire que ce mélange étrange, que l’artiste a choisi d’intituler « Day and Night », a été concocté pour lui permettre de faire étalage de ses capacités vocales. Pourtant, il n’en est rien, et il se dégage de chaque pièce une intimité qui donne corps à l’ensemble. Accompagnée, dans certaines pages, par le violoniste italien Giovanni Andrea Zanon ou par la mezzo russe Elena Maximova, la diva ne cherche pas à leur voler la vedette et adopte plutôt une posture d’humilité.

Anna Netrebko débute par « Io son l’umile ancella », extrait d’Adriana Lecouvreur, qui met subtilement en valeur la beauté de son médium, toujours soutenu et timbré, jusque dans la mezza voce. Habitant le plateau de la Grande Salle de la Philharmonie, elle se déplace pour s’adresser à l’ensemble du public et donner vie aux pages qu’elle incarne.

Suivent deux mélodies de Rachmaninov, dans lesquelles la soprano russo-autrichienne conserve ce registre de la confidence, où sa voix, bien que parfaitement projetée et audible, reste en sourdine. Rimski-Korsakov apporte un peu de fraîcheur, avant le retour de l’introspection, avec deux lieder de Richard Strauss. Après une magnifique introduction au violon, Morgen ! nous conduit dans un songe halluciné, où chaque mot est porté par la rondeur du timbre et la douceur des aigus.

Cette leçon de beau chant et de technique parfaitement maîtrisée se poursuit avec Breit über mein Haupt. Mais c’est là que l’on commence à soupçonner Anna Netrebko de se complaire dans cette lenteur enrobant un certain maniérisme, qui finit par engloutir les textes parfois incompréhensibles, comme c’est le cas avec Il pleure dans mon cœur de Debussy, ou encore « Depuis le jour », extrait de Louise.

C’est finalement dans le répertoire russe que la chanteuse apparaît la plus naturelle, puisqu’elle n’a pas besoin de feindre l’âme slave. Les airs et mélodies de Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Rachmaninov, et par extension Dvorak, sont ainsi les plus beaux moments du récital, car la soprano y est « chez elle ». Cela n’ôte rien à la superbe « Barcarolle » des Contes d’Hoffmann, qu’elle interprète divinement avec Elena Maximova, mais l’on perçoit alors davantage un exercice stylistique qu’une incarnation.

Pour conclure, Anna Netrebko passe des États-Unis (The Ballad of Baby Doe de Douglas Moore) à l’Italie (La serenata de Tosti). Un grand écart géographique et formel que l’on n’appréhende pas totalement, car, au final, ce qui fait l’harmonie de ce récital réside en la personne de la chanteuse même, dans sa voix trop grande, trop belle, pour les œuvres qu’elle semble absorber plus que servir. Cela ne gâche naturellement pas le plaisir de l’écoute, mais le sens est, hélas, parfois perdu.

Le pianiste britannique Malcolm Martineau est un accompagnateur sensible qui, par la subtilité et l’inspiration de son jeu, parvient très finement à ne jamais apparaître comme un simple faire-valoir.

KATIA CHOQUER


© _TOKYOROSE_

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