Concerts et récitals Angel Blue à Peralada
Concerts et récitals

Angel Blue à Peralada

20/07/2025
© Festival Perelada/Miquel González

Esglesia del Carme, 13 juillet

Propulsée au rang de vedette au Metropolitan Opera de New York, Angel Blue multiplie désormais ses engagements européens. Après une saison jalonnée de succès à Londres, Munich ou Vérone, la soprano américaine signe ses débuts au Festival de Peralada, au terme d’un week-end particulièrement agité : la veille, une alerte aux inondations en Catalogne force l’annulation d’un des concerts phares de cette édition – Il trionfo del Tempo e del Disinganno (Haendel) avec William Christie et Les Arts Florissants. Mais le ciel s’apaise en ce dimanche, le soleil revient baigner de lumière les jardins et les vignobles du château de Peralada, et la voisine Église du Carme accueille Angel Blue, radieuse dans une robe émeraude scintillante.

L’atmosphère sacrée de l’écrin gothique bouleverse aux larmes cette fervente chrétienne, qui ouvre le récital par un Ave Maria de Schubert vibrant d’émotion, davantage prié que chanté, face à la Vierge à l’Enfant trônant dans l’abside. Le ton est donné : ce concert sera la mise à nu d’un cœur tendre. En revanche, l’acoustique réverbérante de la nef se révèle vite peu adaptée à la projection d’une voix aussi ample, aux sons capiteux, aux harmoniques opulentes. La subtilité des nuances en pâtit, les aigus sonnent durs. Mais peu importe, tant que l’émotion passe.

« Ritorna vincitor » (Aida) est traversé d’un souffle dramatique saisissant. Une intensité renouvelée plus tard dans un « Vissi d’arte » (Tosca) tout en relief, porté par une vraie grandiloquence tragique. Ce sont là les deux sommets d’une première partie consacrée à quelques-uns de ses rôles fétiches, dont Mimì (La Bohème), avec l’air du III, « Donde lieta », qui toutefois laisse une impression plus mitigée, tant le pathos est surchargé, oblitérant cette fragilité discrète, cette douleur contenue qui font tout le sel de la petite cousette.

Si l’air de Louise (« Depuis le jour »), seule incursion dans l’opéra français, souffre d’une diction floue, l’entrain et l’humour de « Heia, heia! » (Princesse Czardas, opérette de Kálmán) apportent une touche de fraîcheur savoureuse avant l’entracte.

Accompagnée avec finesse par le pianiste canadien Bryan Wagorn – qui s’accorde deux brèves interventions solistes dans le programme : un Clair de lune de Debussy raffiné bien qu’un peu mielleux, et le premier des Trois préludes de Gershwin, au mordant irrésistible –, Angel Blue vire en seconde partie vers d’autres horizons, plus populaires. Côté zarzuela, après un « De España vengo » (Luna) un peu sage, la soprano livre un « Carceleras » (Chapí) au phrasé plus incisif, fruit d’un travail qu’elle dit avoir mené aux côtés de Plácido Domingo – un souvenir partagé dans l’un de ces apartés adressés au public d’une voix constamment nouée par l’émotion.

Plus que dans un autre tube du XXe siècle – un « Youkali » (Kurt Weill) davantage tourmenté qu’onirique – c’est dans deux standards américains (« I Wonder What Became of Me » d’Arlen, « Our Love Is Here To Stay » de Gershwin) qu’elle rayonne, délivrant la ligne de toute raideur au profit d’un naturel désarmant, ainsi que dans les spirituals « Deep River » et « Ride On, King Jesus! », enchaînés dans une aura mystique contagieuse. La richesse de la palette, le balancement du phrasé, la souplesse de l’émission – avec ces clairs-obscurs en voix de poitrine – font par instants planer l’ombre de ses illustres devancières afro-américaines, dont Angel Blue assume l’héritage. 

Le second bis – après un « O mio babbino caro » (Gianni Schicchi) peu marquant – justifierait à lui seul la standing ovation finale : un « Summertime » ensorcelant, mélancolique, voilé de mystère, point d’orgue d’une prestation sincère et touchante – à défaut d’offrir un portrait artistique abouti.

PAOLO PIRO

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