Théâtre Antique, 16 juillet
Il aura fallu plus qu’un remarquable courage à Cecilia Bartoli pour aller jusqu’au bout de cette soirée avec le sourire. Programmé dans le très (trop) vaste espace du Théâtre Antique, ce concert avec orchestre, baptisé « Viaggio Italiano », s’est malheureusement transformé, pour la mezzo star et une bonne partie du public, en un véritable chemin de croix.
En effet, les pires conditions se sont associées pour gâcher ce qui s’annonçait, à l’origine, comme une fête. Car, outre un mistral soufflant en rafales, la piètre sonorisation, installée de part et d’autre de la scène, a fini par décourager bien des spectateurs. Quelques cris (« Arrêtez la sono ! ») fusant des gradins n’ont, d’ailleurs, pas manqué de jeter un certain froid.
Dès l’introductif et frémissant « Ballo delle Furie », extrait d’Orfeo ed Euridice de Gluck, le son, qui semble sortir d’un vieux 78 tours, donne le ton des presque deux heures à venir. Les pupitres de l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco, pourtant réputés pour leurs couleurs chatoyantes, sonnent ainsi désespérément étriqués, factices et sans ampleur : l’énergie visible déployée par le chef américain Steven Mercurio pour faire « sonner » l’orchestre restera vaine.
L’arrivée sur le plateau de Cecilia Bartoli, pour ses premiers airs haendéliens, ne dissipe pas le malaise, bien au contraire. La voix de la mezzo italienne apparaît terriblement comprimée, unicolore et sans relief. Les langueurs éthérées de « Lascia la spina » (Il trionfo del Tempo e del Disinganno) s’évanouissent quasiment toutes sous le vacarme du vent dans les micros, tandis que les joutes virtuoses engagées avec les solistes de la fringante formation monégasque (clarinette, trompette, harpe) tombent à plat.
Il faudra attendre quelques pages de Rossini – et de fugaces accalmies du mistral – pour goûter, çà et là, à de beaux appuis (« Nacqui all’affanno… Non più mesta » de La Cenerentola) ou à quelques lignes superbement suspendues (« Assisa a’ piè d’un salice » d’Otello).
Le reste du programme, qui s’étire sur une alternance d’airs d’horizons musicaux pour le moins éclectiques (chanson napolitaine, musique de film, etc.), emporte l’adhésion d’une grande partie du public, et ce à juste titre. De fait, les suavités de Santa Lucia luntana (Giovanni Gaeta) ou encore les accents enjôleurs sur Se tu fossi nei miei occhi (Ennio Morricone) affolent l’applaudimètre, tout autant que les changements de robes de la diva durant la soirée.
Il faut dire que le talent et la capacité à capter l’auditoire de Cecilia Bartoli demeurent imparables. Et si elle jouit d’une popularité quasi planétaire, il ne faut pas oublier, qu’on apprécie ou non son art, l’extraordinaire parcours accompli ces vingt-cinq dernières années. Tant au disque qu’en concert dans le monde entier, elle a su imposer une technique vocale et une exigence interprétative absolument hors normes dans le monde de l’opéra – et, plus largement, dans celui de la musique classique.
Reste à savoir si celle qui deviendra la directrice de l’Opéra de Monte-Carlo, en 2023, devait, par amitié ou solidarité, se produire dans des circonstances aussi périlleuses. Rien n’est moins sûr. Dans tous les cas, chapeau bas, madame !
CYRIL MAZIN
PHOTO © PHILIPPE GROMELLE ORANGE