Leipzig Oper, 20 mai
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© TOM SCHULZE
Mathias Vidal (Cinq-Mars)
Jonathan Michie (De Thou)
Mark Schnaible (Le Père Joseph)
Sébastien Soules (Fontrailles)
Randall Jakobsh (Le Roi)
Fabienne Conrad (Marie de Gonzague)
Danae Kontora (Marion Delorme)
Sandra Maxheimer (Ninon, Le Berger)
David Reiland (dm)
Anthony Pilavachi (ms)
Markus Meyer (dc)
Michael Röger (l)
Julia Grunwald (ch)
Après son éclatante résurrection en concert, en janvier 2015 (voir O. M. n° 104 p. 73 de mars), puis au disque (voir O. M. n° 118 p. 79 de juin 2016), on attendait, avec beaucoup d’impatience, la première représentation scénique de Cinq-Mars (Opéra-Comique, 5 avril 1877) depuis plus d’un siècle.
Voulue par Ulf Schirmer, entreprenant directeur de l’Opéra de Leipzig depuis 2011 et grand amateur de raretés du répertoire français, elle a confirmé notre intuition : l’avant-dernier opéra composé par Gounod est parfaitement viable au théâtre. Mieux, il offre au spectateur un festival d’émotions différentes de celles procurées par Faust, Mireille ou Roméo et Juliette, le compositeur, par-delà sa facilité mélodique bien connue, témoignant ici d’une réelle capacité à renouveler ses effets dramatiques.
Le résultat aurait-il été aussi enthousiasmant sans la mise en scène d’Anthony Pilavachi ? Le réalisateur chypriote opte pour ce qui demeure la solution la plus probante, quand il s’agit de faire redécouvrir une œuvre tombée dans l’oubli : le respect du contexte historique et géographique de l’intrigue, relu au prisme de la sensibilité des spectateurs d’aujourd’hui.
Aux toiles peintes d’époque, Markus Meyer, créateur des décors, préfère ainsi des photos agrandies de lieux vus en trompe-l’œil : fleuve entouré de forêts, sous la clarté de la lune ; galeries du Louvre ; rideau de scène du Palais Garnier (inauguré deux ans avant la création de Cinq-Mars), se soulevant pour dévoiler le hall d’entrée de l’édifice et son célèbre escalier…
La lisibilité et la fluidité de l’action sont ainsi préservées, en évitant tout basculement dans le kitsch, même si le faste indispensable dans un opéra de ce type est constamment présent. Non pas tant dans les accessoires, rares mais signifiants (le trône doré du Roi, les fausses rocailles typiques du style baroque), que dans les costumes et coiffures, absolument somptueux : Louis XIII pour les messieurs, milieu du XIXe pour les dames.
On retrouve le même dosage réussi de tradition et de modernité dans l’épatante chorégraphie de Julia Grunwald, pour le magnifique ballet du deuxième tableau du II – quel pied de nez à tous ces chefs, metteurs en scène et directeurs de théâtre, qui continuent à juger superfétatoire ce morceau de bravoure de l’opéra français du XIXe siècle !
Quant aux éclairages très travaillés de Michael Röger, ils créent à chaque instant l’atmosphère recherchée par Gounod et ses librettistes, concourant à l’impression d’ensemble laissée par la production : spectaculaire, riche d’idées, mais jamais passéiste, ni vulgaire.
Ulf Schirmer, qui dirigeait les concerts et le disque de 2015, a souhaité laisser la baguette à l’un de ses confrères. David Reiland est un choix excellent : aussi précis et stylistiquement sûr que son prédécesseur, mais plus théâtral dans les ensembles (l’extraordinaire concertato du III) et plus sensuel dans l’accompagnement des épanchements amoureux (l’enivrant « Nuit resplendissante » de Marie de Gonzague au I, le bouleversant « Ô chère et vivante image » de Cinq-Mars au IV).
Le jeune Belge, par ailleurs premier chef invité de l’Opéra de Saint-Étienne, tire le meilleur du somptueux orchestre du Gewandhaus de Leipzig, tenu par contrat d’assurer, en plus de la saison symphonique entre ses propres murs, les représentations lyriques données à l’Opéra. Rien de plus simple pour les instrumentistes, puisque les deux bâtiments se font face, de chaque côté de l’immense Augustusplatz.
Signalons au passage que, sur le plan de l’architecture extérieure, l’Opéra est autrement plus agréable à regarder que son vis-à-vis. Bâti entre 1956 et 1960, après l’anéantissement du Neues Theater dans un bombardement, en décembre 1943, l’édifice adopte un style néoclassique on ne peut plus sobre, l’intérieur n’appelant aucun reproche majeur, surtout par comparaison avec d’autres maisons d’opéra allemandes, construites après la Seconde Guerre mondiale.
La distribution est logiquement dominée par le Cinq-Mars de Mathias Vidal. Il y a deux ans, le ténor français avait remplacé en catastrophe Charles Castronovo, la veille du concert enregistré à Munich. Pour quelqu’un ayant appris le rôle en vingt-quatre heures, le résultat tenait déjà du miracle. À Leipzig, au terme d’une longue période de répétitions, son incarnation a évidemment paru plus aboutie, transportant le public d’enthousiasme.
Le timbre est beau, la diction exemplaire, le chant constamment expressif, dans un rôle ne présentant pas de difficultés particulières, mais long et éprouvant sur le plan émotionnel. L’acteur n’est pas en reste, d’une crédibilité absolue en jeune aristocrate idéaliste et impulsif, prêt à se jeter dans tous les pièges pour défendre la cause qu’il estime juste.
Superbe en scène, la soprano française Fabienne Conrad se révèle, en revanche, en deçà des exigences vocales de Marie de Gonzague. Le reste de la distribution, en grande partie puisé dans la troupe, remplit son office avec plus ou moins de bonheur, à l’exception du très prometteur baryton américain Jonathan Michie en De Thou.
Merci à l’Opéra de Leipzig. Merci également au Palazzetto Bru Zane, pilote de la résurrection de l’ouvrage depuis les concerts et l’enregistrement de 2015, qui a apporté un soutien précieux à Ulf Schirmer et ses équipes. On attend maintenant de revoir Cinq-Mars. Leipzig annonce des représentations pour la saison 2017-2018, mais c’est désormais à un théâtre français de prendre le relais !
RICHARD MARTET