Comptes rendus Chevalier berlinois pour Zubin Mehta
Comptes rendus

Chevalier berlinois pour Zubin Mehta

23/02/2020

Staatsoper Unter den Linden,13 février

Pour André Heller, Der Rosenkavalier est lié à l’enfance. Il raconte en effet, dans le programme de salle, que toute sa famille s’habillait – y compris la cuisinière, à qui sa mère prêtait une robe digne de l’événement – pour écouter, avec dévotion, la « comédie en musique » de Strauss et Hofmannsthal, retransmise depuis le Festival de Salzbourg.

Pour son retour à l’opéra, quasiment deux décennies après l’expérience sans lendemain d’un diptyque Erwartung/La Voix humaine conçu autour de la regrettée Jessye Norman, au Théâtre du Châtelet, l’homme de spectacle autrichien s’évertue à retrouver ce paradis perdu, en s’adjoignant les talents de l’artiste peintre Xenia Hausner pour les décors, et du créateur de mode Arthur Arbesser pour les costumes, le tout sous l’égide du compositeur et du poète, dont les portraits sont projetés sur le rideau – en signe d’allégeance ?

Toujours ancrée à Vienne, mais transposée au cœur de la seconde décennie du siècle dernier, l’action est d’ailleurs préservée de toute allusion à la menace du conflit à venir. L’intérieur de la Maréchale reflète somptueusement le japonisme alors en vogue, Faninal tient salon dans le pavillon de la Sécession – où Klimt, en personne, fait une apparition –, et l’auberge du III se métamorphose en serre orientalisante.

Mais si l’œil souvent se délecte, l’attention tend à s’émousser. Parce que le metteur en scène compte trop sur les capacités, forcément inégales, des interprètes à camper leurs personnages. Et surtout, sa direction d’acteurs, comme une esquisse aux contours trop flous, échoue à traduire l’animation, l’agitation, la frénésie même, qui finissent par s’emparer, à un moment ou un autre, de chacun des trois actes. « C’est une mascarade viennoise et rien de plus. » Inutile de s’étendre davantage, cette réplique de la Maréchale tombe à point nommé, tel un verdict irrévocable.

Depuis que la maladie l’a privé de sa prestance d’éternel jeune homme, Zubin Mehta s’avance d’un pas lent vers son pupitre. La pulsation s’en ressent, appesantie au point d’introduire des blancs dans la conversation post coitum du I, et même après l’irruption de l’importun cousin. Une certaine routine, confortable, mieux, luxueuse, prend dès lors le pas sur l’imprévisibilité de l’instant théâtral.

Et pourtant, le métier de cette baguette, depuis longtemps déjà entrée dans la légende, demeure infaillible, comme est intacte sa capacité à tisser, en osmose avec la superbe Staatskapelle Berlin, dont l’enveloppante plénitude ne réprime pas les élans virtuoses, le plus parfait écrin pour les voix.

Heurs et malheurs de la troupe, augmentée de membres de l’Opernstudio, les silhouettes et seconds plans alternent entre quantités négligeables, victimes d’une usure précoce – Roman Trekel, Faninal en lambeaux – et promesses, sinon découvertes – Erik Rosenius, qui se distingue dans les interventions du Commissaire, au III. Mieux vaut oublier, en revanche, le Chanteur, plus terne et poussif qu’italien, d’Atalla Ayan.

La basse de Günther Groissböck semble, jusqu’à la fin du II, vouloir rester coincée dans la gorge irrésistiblement hâbleuse de son Baron Ochs. Mais au moins a-t-il l’âge de ne pas avoir l’air de l’oncle chenu de sa distinguée cousine.

Nadine Sierra fait un amour de Sophie, que son tempérament affranchit des conventions cantonnant la jeune fille à une niaiserie seulement rendue supportable par les lignes éthérées de la « Présentation à la rose ».

Son Chevalier a l’allure fringante de Michèle Losier qui, grâce à la pulpe mordorée de son vrai mezzo, se glisse à la place laissée vacante depuis les adieux au rôle d’Elina Garanca.

Un voile d’inquiétude résignée passe sur le soprano de lumière froide de Camilla Nylund, Maréchale aux envolées aussi limpides que ductiles, dont l’élégance ciselée se pare d’ombres nostalgiques.

MEHDI MAHDAVI

© RUTH WALZ

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