Opéra National de Lorraine, 20 décembre
2019 se clôt en beauté pour l’Opéra National de Lorraine, avec une excellente Cendrillon de Massenet. Ce titre qui, sans être une rareté, n’est pas pour autant entré dans le cœur du répertoire, est servi ici par une réalisation musicale et théâtrale de qualité.
Dans ce nouveau spectacle d’une grande lisibilité de propos, coproduit avec le Stadttheater de Klagenfurt, David Hermann met l’accent sur l’histoire d’un amour entre deux jeunes gens de milieux très différents, mais se sentant pareillement en souffrance dans leur situation familiale ou sociale. L’attraction irrésistible qu’ils ressentent va pousser ce prince et cette « fille des cendres » à faire fi des barrières les séparant. S’étant retrouvés, ils finiront par tout quitter pour vivre leur histoire au grand jour, loin de tous.
L’action se déroule de nos jours, mais dans une esthétique où le style « Art nouveau », qui prit son essor à l’époque de la création de l’opéra (1899), et dont l’École de Nancy fut le fer de lance, est omniprésent, à travers des éléments de décoration ou des projections vidéo.
Dans une lecture mêlant réalisme et fantaisie, voire onirisme, et s’appuyant sur une impeccable direction d’acteurs, on s’amuse à voir la présentation des prétendantes devenir un défilé de mode, tout comme on note la présence récurrente de la cheminée : âtre où Cendrillon s’endort, ou encore conduit permettant au couple finalement réuni de s’enfuir à jamais.
On est plus perplexe sur l’idée de faire de la Fée une sorte de SDF en chef, commandant à une cour de clochard(e)s, le carrosse magique devenant ici un vieux caddie déglingué : cela ancre certes le conte dans une certaine réalité sociale, mais ôte beaucoup de poésie à toutes les pages normalement féeriques.
À la tête d’un Orchestre de l’Opéra National de Lorraine particulièrement en forme, Jean-Marie Zeitouni montre une énergie et une attention sans faille, ainsi qu’un véritable amour pour cette partition aussi étonnante que raffinée, dont seules ont été coupées trois entrées de ballet au deuxième acte.
On admire le soin apporté à distribuer chaque rôle, jusque dans d’épatants seconds plans, notamment les impayables Noémie et Dorothée des très bien chantantes Judith Fa et Anne-Sophie Vincent. Doris Lamprecht croque avec autorité – sinon toujours avec subtilité – une Madame de la Haltière haute en couleur, jouant d’une voix tonitruante aux registres très marqués, tout comme Marc Barrard, Pandolfe plein d’humanité, sait utiliser la légère usure de son instrument à des fins expressives.
C’est, au contraire, la santé vocale et la parfaite technicité qui caractérisent Marlène Assayag, Fée très virtuose mais guère poétique, il est vrai peu aidée par le parti pris dramaturgique. Antoinette Dennefeld convainc pleinement dans le Prince Charmant, tant par ses allures d’ado boudeur que par son mezzo puissant et nuancé, mais c’est Hélène Guilmette qui gagne tous les cœurs en Cendrillon.
Dans ce rôle parfois tenu par des mezzos, mais auquel un vrai soprano permet une plus grande palette de couleurs, son instrument léger, au médium joliment fruité, fait merveille, avec d’exquis piani et des demi-teintes enchanteresses, pour une incarnation d’une bouleversante fragilité.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE LORRAINE/JEAN-LOUIS FERNANDEZ