Giardino di Boboli, 29 août
Contrairement à la France qui, par prudence, a préféré annuler la quasi-totalité de ses manifestations estivales, plusieurs cités européennes ont eu le courage de maintenir les leurs, malgré la pandémie et son lot d’incertitudes. Le défi était donc immense pour le tout jeune « New Generation Festival » (« NGF »), créé, en 2017, par Maximilian Fane, Roger Granville et Frankie Parham, et proposé, cette année, dans les jardins du Palazzo Pitti, à Florence. Mais les deux représentations de La Cenerentola ont balayé d’un coup d’archet plusieurs semaines de doutes.
Bien que largement constituée par de nouveaux venus dans le monde musical, la distribution – réunissant pas moins de sept nationalités différentes – n’a rien à envier à certains festivals de renommée mondiale. Dirigée par Sandor Karolyi, jeune chef austro-suisse, lauréat, en 2018, de l’« International Nino Rota Conducting Competition », avec alacrité et rigueur stylistique, la soirée a filé d’une traite, sans le moindre temps mort.
En plein accord avec le spectacle vif et coloré du metteur en scène français Jean-Romain Vesperini, Sandor Karolyi, à la tête d’un Orchestra Senzaspine plein d’ardeur (même si tous les instrumentistes n’étaient pas sans reproche), a su pallier la verdeur de certains pupitres par des tempi acérés et une énergie communicative, notamment dans les ensembles, joués au cordeau.
À sa disposition, une distribution plus que prometteuse, dominée par l’exceptionnelle Angelina/Cenerentola de Svetlina Stoyanova. Grain de voix singulier, ambitus développé, technique éprouvée et interprétation savoureuse, la mezzo bulgare procure un plaisir intense. Il faudra désormais compter sur cette jeune soliste du Staatsoper de Vienne, musicienne aussi sensible que cultivée, dotée d’un aplomb et d’un sens de la composition proprement étourdissants.
Timbre gracieux, cantabile infaillible, jeu subtil : le ténor canadien Josh Lovell ne s’est pas laissé impressionner par les enjeux de cette représentation de plein air, sonorisée par nécessité, où la distanciation physique est de mise. Virtuose quand il le faut – éclatante exécution de « Si, ritrovarla io giuro » –, il brosse un portrait de Don Ramiro d’une justesse confondante, juvénile et charmant comme tout beau Prince qui se respecte.
Parfois indigeste lorsqu’il est confié à des artistes en fin de carrière, Don Magnifico tombe sans le moindre pli sur les épaules et l’instrument délié de la basse polonaise Daniel Miroslaw, vocalement impeccable, surtout dans les grandes embardées syllabiques qui parsèment son rôle. Il est, de surcroît, scéniquement très efficace, supérieur au Dandini du baryton arménien Gurgen Baveyan, saisi à froid dans sa cavatine d’entrée et moins éloquent que son collègue.
Amusantes à souhait, Clorinda et Tisbe sont défendues sans caricature par la soprano italienne Giorgia Paci et la mezzo maltaise Marvic Monreal. Seul l’Alidoro de la basse congolaise Blaise Malaba appelle quelques réserves.
Usant à bon escient des images vidéo projetées sur différents supports-écrans, tantôt réalistes pour suggérer lieux et espaces, tantôt oniriques ou cartoonesques (ombres chinoises, carrosse fantôme, orage…), la lecture de Jean-Romain Vesperini se laisse regarder avec intérêt. Rythmée par une direction d’acteurs jamais appuyée, elle est émaillée d’accessoires et de costumes d’inspiration XVIIIe piquants, que soulignent avec malice les jolies lumières de Christophe Chaupin.
FRANÇOIS LESUEUR
PHOTO © GUY BELL