Teatro di San Carlo/Facebook, 1er décembre
Les masques des instrumentistes napolitains, communiant dans l’opération survie que constitue ce concert estampillé Covid-19 – filmé le 1er décembre et disponible sur la page Facebook du Teatro di San Carlo depuis le 4 – incitent à l’empathie plus qu’à la critique. Devant une salle mythique mais désespérément vide, sous la direction de Juraj Valcuha, d’une générosité musicale sans faille, la distribution sagement alignée s’efforce de pallier l’absence de vie théâtrale par le seul engagement vocal.
Il revient logiquement à la Santuzza d’Elina Garanca de polariser l’attention, dans le souvenir de ses prestations parisiennes de 2016. Plus d’un demi-siècle après les scaligères Stignani, Simionato ou Cossotto, une mezzo de renom offre ses graves charnels à son héroïne, conçue pour une Violetta mâtinée de Fedora. Elle le fait avec un aplomb vocal sans rimmel et une autorité qui en imposent de bout en bout, au point de faire oublier tel saut de registre incertain ou quelques inévitables tensions dans un aigu sollicité jusqu’au contre-ut. La rage dédaigneuse de son « A te la mala Pasqua, spergiuro ! », lancé à la face de Turiddu, marque notamment son discours d’une empreinte grave qui, à elle seule, vaut toutes les démonstrations scéniques.
Au point que cette protagoniste éclipse aisément cet amant infidèle, un Jonas Kaufmann à plus d’un égard hors de propos. Que la « Sicilienne » initiale de celui-ci surexpose l’engorgement d’une émission aux prises avec des notes de passage scabreuses, on le savait. Que le « Brindisi », cheval de bataille de tous les ténors à la voix haut placée, le mette en défaut avec les mots autant qu’avec la ligne, on s’en persuade à nouveau. Sanglé dans un costume trois pièces et bridé dans sa gestique habituelle, l’artiste nous paraît comme engoncé dans le sombrage d’un médium dont il ne parvient à se libérer qu’à la force d’un souffle stentorien.
Ces travers n’ont-ils pas si longtemps nourri la condamnation d’un vérisme accusé d’avoir généré la décadence vocale des années 1950 ? Qu’on se rassure : en Alfio, Claudio Sgura frôle, quant à lui, l’erreur de distribution. Si, par ailleurs, la Lola de Maria Agresta demeure trop effacée et timide, d’intonation comme d’accents, on doit à Elena Zilio, doyenne du drame et de la distribution, une assurance et une classe encore sidérantes, méritant une mention toute particulière.
Les chœurs sont enfin à saluer pour la ferveur lyrique avec laquelle ils embrassent le discours musical et dramatique, porté à bout de bras par un chef, répétons-le, totalement immergé dans l’opéra mascagnien.
Merci donc au San Carlo pour cet émouvant contrepoint lyrique aux mornes réalités affligeant une saison qu’il contribue à sauver, avec le soutien technologique des canaux numériques.
JEAN CABOURG
PHOTO © LUCIANO ROMANO