Comptes rendus Butterfly très réussie à Liège
Comptes rendus

Butterfly très réussie à Liège

28/09/2019

Théâtre Royal, 13 septembre

Pour son retour à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, où elle n’était pas apparue depuis 2001, Madama Butterfly se présente dans une mise en scène du maître des lieux, Stefano Mazzonis di Pralafera, dont la fidélité aux livrets se traduit souvent par le respect scrupuleux du cadre, de l’époque, des didascalies. Cette fois, au troisième acte, Pinkerton et son épouse américaine arrivent en hélicoptère. « Tragedia giapponese » assurément modernisée.

Loin de plaquer sur le texte des certitudes préalables, la mise en scène part d’une compréhension profonde du texte, de la musique, de leurs enjeux, en une interprétation attentive à l’essentiel. L’opposition entre le premier acte (le mariage arrangé) et les conséquences de l’abandon conduit à une transposition vers les suites de la Seconde Guerre mondiale. Passons-nous pour autant de Pierre Loti au Pavillon d’or de Mishima ?

L’acte I donne bien à voir la maison japonaise sur la colline, avec sa terrasse et son jardin. Trois ans plus tard, Cio-Cio-San, devenue selon son imagination « Madama F. B. Pinkerton », habite un appartement au dernier étage d’un immeuble dans Nagasaki reconstruite. Tandis que Suzuki maintient prières et traditions, Butterfly s’habille comme une Américaine : coiffure à la Louise Brooks, jupe courte.

Point de bambin âgé de 3 ans, mais un simple landau. On s’interroge : ne parler, ni marcher à cet âge ? Et que penser de sa présentation à Sharpless ? Ce dernier a-t-il rêvé ? Tout s’éclaire en un coup de théâtre : un pantin vole en éclats, dilacéré, lors du suicide de sa « mère ». Cette ultime vision authentifie la lecture : l’enfant de Cio-Cio-San a aussi peu de réalité que son statut de Mrs. Pinkerton. Pour le dire comme Brecht, Butterfly est « étrangère à elle-même ».

Les décors de Jean-Guy Lecat opposant les deux lieux de l’action, la perfection des costumes signés par Fernand Ruiz, attentif aux traditions et aux significations du kimono (dont l’élégance se distingue de la rudesse sans grâce des vainqueurs), la mise en lumière de Franco Marri, donnent à la production une unité dramatique prégnante. Une direction d’acteurs soucieuse des moindres variations des sentiments parachève la réussite.

Speranza Scappucci exalte l’impitoyable tragédie dans une rythmique éprise de souplesse, au service de couleurs fascinantes. Le slancio pour la contemplation du ciel étoilé dans le duo d’amour, le chœur a bocca chiusa tandis que la nuit descend (moderatamente mosso), les dernières mesures du drame (allargandomolto allargando), comptent parmi les moments proprement extraordinaires.

Svetlana Aksenova interprète Cio-Cio-San dans le monde entier, quand elle n’est pas Aida ou Desdemona. La solidité du grave, la largeur du médium, la puissance de l’aigu offrent à l’héroïne toutes ressources pour les scènes les plus dramatiques du III, après avoir ménagé un impressionnant « Un bel di vedremo » au II. Et la progression des sentiments qu’elle suggère dans le duo d’amour, comme la douceur de ses pianissimi, restent inoubliables.

Alexey Dolgov a la désinvolture de l’occupant, une prestance où rudesse et fatuité cohabitent ; sa voix puissante est le symétrique « exotique » de Cio-Cio-San. Dans le duo du I, il ne cache pas une impatience exclusivement sensuelle. On peut cependant croire à son remords final.

Suzuki longiligne et juvénile, Sabina Willeit déplore l’égarement de Butterfly sans jouer les nourrices. Le personnage sensé de Sharpless convient à Mario Cassi, dont le solide baryton sait délivrer un texte juste et nuancé. Alexise Yerna, d’abord implacable et impeccable silhouette de l’épouse occidentale, capeline, lunettes noires, laisse ensuite entendre une humanité inhabituelle. Saverio Fiore, ténor vaillant, confère à Goro une présence et une portée inquiétantes.

Loin d’obturer, la lecture attentive conduit vers l’ouverture et la réflexion.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE

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