Opéra-Théâtre, 17 janvier
On est navré de l’apprendre – un peu soulagé aussi : Cio-Cio-San n’a jamais eu d’enfant. Et l’enfant Dolore qui deviendrait l’enfant Gioia si son papa revenait ? Et l’enfant que l’héroïne envoie jouer au moment de faire seppuku ? C’est « dans sa tête ». De même qu’il existe des dénis de grossesse, il y a aussi des maternités imaginaires. Admettons, me direz-vous. Mais enfin, Sharpless a bien vu l’enfant et a promis de parler de lui à Pinkerton ! En fait, il l’a vu de loin et n’a pas compris qu’on lui présentait un gros poupon. Admettons encore.
Dans le fond, cette modification d’une donnée essentielle du drame par Pierre Thirion-Vallet, metteur en scène de cette nouvelle production de Madama Butterfly, ne change pas grand-chose. Car, pour le reste, la réalisation s’avère très sage, japonisante juste ce qu’il faut, belle à voir dans les décors épurés de Frank Aracil, avec de superbes éclairages et des costumes exotiques à souhait.
Noriko Urata est pour beaucoup dans la réussite théâtrale de la soirée. C’est une excellente actrice qui sait parfaitement saisir les diverses facettes de son personnage, de la gamine minaudière à l’héroïne tragique, avec son charme, sa fragilité, ses flambées de violence, son désespoir et son immense dignité. Annoncée un peu souffrante avant le spectacle, cela ne s’est guère senti, sinon dans quelques aigus légèrement tirés et la sensation que la soprano japonaise se ménageait avant les grands paroxysmes dramatiques.
Il est évident qu’avec Noriko Urata, l’on a affaire à une artiste de haut niveau, avec de considérables réserves de puissance, un timbre très agréable, idéal pour le répertoire puccinien, et un excellent phrasé. S’y ajoute un je-ne-sais-quoi qui retient l’attention.
Le ténor roumain Antonel Boldan offre, lui aussi, un Pinkerton de bon ton. Hélas, au-dessus du sol, l’aigu est malaisé. Jean-Marc Salzmann incarne un Sharpless plein de gravité. Le rôle est délicat, car presque dépourvu d’élans lyriques, mais il suffit d’une phrase comme « Io so che alle sue pene, non ci sono conforti », au dernier acte, pour percevoir un chant d’une belle noblesse.
De même, la Suzuki de Magali Paliès intéresse immédiatement par la beauté du timbre, qui se marie bien avec celui de Noriko Urata, et un investissement dramatique sobre mais efficace. Les nombreux petits rôles sont tenus très correctement. Sans doute faut-il voir là une conséquence heureuse de l’esprit d’équipe qui caractérise des structures comme Opéra Nomade – la compagnie est coproductrice du spectacle avec le Centre Lyrique Clermont-Auvergne.
En fosse, l’orchestre Les Métamorphoses (une trentaine de musiciens) est admirablement dirigé par Amaury du Closel. Beaucoup de professionnalisme, une grande précision rythmique, mais surtout un vrai sens dramatique, avec une respiration large et sensuelle qui porte le plateau.
JACQUES BONNAURE
PHOTO : © LUDOVIC COMBE