Opéra-Théâtre, 5 février
Cette nouvelle production de Madama Butterfly a fait l’objet d’une captation, effectuée en un jour, le 5 février, mais en deux temps : d’abord à 14 h, puis à 20 h, pour une diffusion prévue sur les chaînes de la Région Grand Est. On imagine que cette césure est une difficulté supplémentaire pour les chanteurs, mais ils jouent le jeu avec élégance et n’en laissent rien paraître, tout au bonheur de participer à un spectacle qui est une réussite complète, mêlant l’intelligence du livret et de la musique à un esthétisme raffiné.
Le mérite en revient d’abord à Paul-Émile Fourny, directeur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Il a su découvrir une équipe jeune, majoritairement féminine et italienne, qui fait ainsi en France des débuts mieux que prometteurs. Nommons, en tête, la cheffe Beatrice Venezi : ayant à peine passé la trentaine, elle fait preuve de subtilité, en laissant parler la partition dans ce qu’elle a de plus sensible. Un travail de précision et de finesse, où excelle l’Orchestre National de Metz.
La metteuse en scène Giovanna Spinelli a de l’œuvre une vision pertinente. Tout commence trente ans après la mort de l’héroïne, dans la chambre d’hôpital où agonise Pinkerton. Cette idée forte est justifiée par l’aveu que fait l’officier américain, à la fin de l’opéra : « Toujours la vision de ce doux visage me torturera… »
Poursuivi avec maîtrise, ce récit rétrospectif a le grand mérite de faire apparaître des nuances qu’on n’a pas l’habitude de déceler. Ainsi, le fait que Pinkerton et son épouse Kate soient constamment présents rend les personnages beaucoup plus humains. Et le fils de Butterfly, « Douleur » (« Dolore »), n’a pas l’apparence d’un enfant de 3 ans : c’est un adulte qui veille son père. Du coup, le thème de la mort menaçante, si présent chez Puccini, se révèle encore plus impressionnant.
Pour les va-et-vient entre le présent et le passé, Elisabetta Salvatori a imaginé un décor simple mais suggestif : la chambre d’hôpital, d’abord au premier plan, puis au second, avec, au fond, un écran translucide que les éclairages très réussis de Jacopo Pantani transforment en une ouverture sur l’au-delà, les beaux costumes de Giovanna Fiorentini naviguant entre les époques et les civilisations. Loin d’être gratuites, toutes ces trouvailles sont suggérées par le livret qui, dès le début, évoque « la porte du paradis ».
Les contrastes peuvent devenir d’une ironie cruelle : ainsi, Kate fait manger Pinkerton à la petite cuillère, juste avant qu’il entonne le triomphant « America for ever ! », en transformant son drap en étendard… L’arrivée de l’héroïne et de ses amies est superbe : on ne voit que des ombres chinoises, on entend la voix de la jeune femme, tandis que le chœur parle de « franchir le seuil ».
Au dernier acte, le cerf-volant de « Douleur », contrepoint à l’uniforme blanc de son père, prend son élan, comme si le fils était délivré par la mort sacrificielle de sa mère. Ultime vision : tandis que Butterfly s’écroule, le Pinkerton de la chambre d’hôpital se lève et l’appelle à trois reprises, trop tard…
La distribution se montre à la hauteur des ambitions du spectacle, les interprètes étant tous très impliqués dans la progression dramatique. Dans l’écrasant rôle-titre, Francesca Tiburzi est bouleversante : actrice convaincante, elle lance des aigus lumineux et transmet toute son émotion, même dans un air aussi célèbre que « Un bel di vedremo ».
Thomas Bettinger a la voix charmeuse qui convient à Pinkerton. Vikena Kamenica offre ses beaux graves à Suzuki. Jean-Luc Ballestra fait de Sharpless un dandy tiré à quatre épingles, mais sait se montrer touchant. Daegweon Choi est un Goro onctueux, tandis que Giacomo Medici cumule, avec allure, les rôles de Yamadori et du Bonze. Déborah Salazar dessine une fine Kate, alors que l’acteur Carlo Sella incarne le fils – adulte, donc impossible – de Butterfly et Pinkerton.
Espérons qu’un spectacle aussi accompli sera vu, non seulement par le public de la captation, mais aussi par les mélomanes en direct, lors des reprises qu’on souhaite pour les saisons à venir.
BRUNO VILLIEN
PHOTO © OPÉRA-THÉÂTRE DE METZ MÉTROPOLE/LUC BERTAU