La Monnaie, 7 novembre
Montée avec retentissement à Bruxelles, en octobre 2012 (voir O. M. n° 79 p. 44 de décembre), cette Lulu vue par Krzysztof Warlikowski n’a rien perdu de son impact par la puissance du propos et une direction d’acteurs tirée au cordeau.
Pour autant, passé l’effet de surprise, la mise en scène montre aujourd’hui ses limites, et cette lecture comme saturée de sens, qui multiplie références et pistes d’interprétation, finit par donner le tournis. Quelle profusion d’images entre le jeu des chanteurs, les vidéos projetées et les actions simultanées des figurants ou des danseurs dans tous les coins du plateau !
Se font jour aussi davantage certains tics de mise en scène, entre ce « théâtre dans le théâtre », ces éternels carrelages et lavabos, et ce ballet incessant de travelos. Quant à l’omniprésence de la danse classique – filant l’idée que l’héroïne nourrit le regret secret de n’avoir su devenir ballerine –, on pourra trouver cela, au choix, émouvant ou exaspérant, car inutilement plaqué sur l’œuvre.
Heureusement, comme à la création, le spectacle peut compter sur la fascinante Barbara Hannigan pour emporter l’adhésion. Neuf ans après ses débuts en Lulu – sans aucun doute, le rôle de sa vie ! –, la soprano canadienne continue, à 50 ans, à sidérer par son aisance vocale et scénique, la plus grande rigueur musicale s’accompagnant toujours d’une apparente et totale liberté physique, avec, de surcroît, une plastique – dont la production ne laisse pas ignorer grand-chose – que bien des femmes de la moitié de son âge pourraient lui envier !
Quel naturel sur pointes, comme dans les postures les plus inconfortables, tout en chantant les choses les plus compliquées ! La voix, pas immense mais admirablement projetée, est toujours aussi à l’aise dans les trilles, vocalises et suraigus. Une remarquable incarnation, aussi flamboyante que fragile.
Autour d’elle, le plateau est plus homogène qu’en 2012. Rainer Trost incarne un Peintre – ici, un Photographe –, dont la séduction juvénile rend la référence à Blow Up bien plus évidente. Le rapport d’âge de père et fils est aussi plus probant entre Bo Skovhus – aussi séduisant en Dr. Schön que terrifiant en Jack l’Éventreur, avec un mordant retrouvé dans le timbre – et Toby Spence – Alwa très convaincant – que, jadis, entre Dietrich Henschel et Charles Workman. Martin Winkler prête au Dompteur, comme à l’Athlète, sa belle présence et sa voix d’airain.
Geschwitz et Schigolch sont, en revanche, les mêmes qu’à la création.Toujours aussi solide vocalement, Pavlo Hunka peine cependant à faire exister un rôle sacrifié par la mise en scène. Et si Natascha Petrinsky continue à prêter à la Comtesse un physique de rêve et une belle émotion, la voix a désormais perdu en homogénéité et en tonus.
Enfin, Alain Altinoglu, succédant à Paul Daniel en 2012, porte la soirée avec une énergie qui jamais ne se relâche. Le chef français domine cette partition complexe avec précision et brio, sans rien de cérébral pourtant, apportant même une flamme et une chair toutes post-romantiques, grâce à l’excellence de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © SIMON VAN ROMPAY