Opernhaus/Arte, 6 décembre
Le procédé avait, paraît-il, donné satisfaction, en début de saison, dans Boris Godounov, dont toutes les représentations avaient pu être maintenues, pour une jauge réduite. Il permet, cette fois, de sauver la nouvelle production de Simon Boccanegra, dont seule la première aura eu lieu, devant une poignée de spectateurs et les caméras d’Arte, pour une retransmission en direct (encore disponible sur Arte Concert jusqu’au 5 mars 2021).
Disposés selon les règles de distanciation physique, dans une salle de répétitions transformée en studio, l’orchestre et les chœurs de l’Opernhaus de Zurich sont enregistrés et diffusés en direct dans la salle. Ni décalage, ni distorsion du son ne viennent troubler l’écoute. L’illusion, en somme, est parfaite. Et permet à Fabio Luisi de confirmer, après le spectacle parisien de Calixto Bieito (2018), ses affinités avec la partition, dont il sait rendre tant l’urgence que la délicatesse.
Dommage que le plateau vocal se révèle si bancal. Le pire est atteint avec Otar Jorjikia ; en Gabriele Adorno, le ténor géorgien s’époumone, s’enroue, plafonne, détonne, au point de gâcher un timbre non dépourvu de séduction. Si l’art et les moyens diffèrent sensiblement, le rôle-titre, selon Christian Gerhaher, ne peut pas ne pas rappeler le Nabucco de Michael Volle, sur cette même scène : fausse bonne idée de distribution, qui prouve que même les plus grands interprètes peuvent se fourvoyer en suivant leurs désirs.
Magnifique Posa dans Don Carlo, à Toulouse, en 2013, le baryton allemand n’a tout simplement pas l’instrument pour se mesurer à Simon Boccanegra. Avec des voyelles aussi outrageusement ouvertes que les « r » sont exagérément roulés, l’idiome n’en paraît que plus contrefait, et l’expressivité affectée, alors que les couleurs se délitent dans un vibrato dont l’amplitude varie d’une note à l’autre. À oublier…
Pulpeux et long, le soprano de l’Américaine Jennifer Rowley appartient, semble-t-il, à cette catégorie de voix trahies par les micros, qui tendent à en surexposer les défauts. Cette Maria/Amelia n’en est pas moins valeureuse, mieux, sincère dans ses élans. Sans marquer les mémoires, la basse allemande Christof Fischesser a, pour Jacopo Fiesco, l’avantage de la dignité.
Enfin, le baryton-basse américain Nicholas Brownlee fait figure de révélation, Paolo Albiani tonitruant aux deux extrêmes de l’ambitus. Dans la grisaille ambiante, entretenue par la mise en scène inoffensive, transposée sans raison nécessaire, ni suffisante, dans les années 1920, d’un Andreas Homoki décidément adepte des plateaux tournants, c’est une bénédiction !
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS