Comptes rendus Billy Budd à Madrid
Comptes rendus

Billy Budd à Madrid

27/03/2017

Teatro Real, 22 février

PHOTO : Jacques Imbrailo et Toby Spence
© TEATRO REAL/JAVIER DEL REAL

Toby Spence (Edward Fairfax Vere)
Jacques Imbrailo (Billy Budd)
Brindley Sherratt (John Claggart)
Thomas Oliemans (Mr. Redburn)
David Soar (Mr. Flint)
Torben Jürgens (Lieutenant Ratcliffe)
Christopher Gillett (Red Whiskers)
Duncan Rock (Donald)
Clive Bayley (Dansker)
Sam Furness (The Novice)
Francisco Vas (Squeak)
Manel Esteve (Bosun)

Ivor Bolton (dm)
Deborah Warner (ms)
Michael Levine (d)
Chloé Obolensky (c)
Jean Kalman (l)

Le décor de cette captivante nouvelle production de Billy Budd s’offre au spectateur dès son entrée dans la salle : le plateau à nu, entièrement ouvert au-dessus et sur les côtés, avec des cordages tombant des cintres jusqu’à des planches de bois. Après le Prologue, celles-ci deviennent le pont d’un navire, que les marins astiquent sous la surveillance de gardes-chiourme armés de matraques. Les uniformes des officiers ancrent clairement l’action dans une époque qui pourrait être la nôtre, bien après les guerres napoléoniennes auxquelles fait référence le livret.

Plus la représentation avance, plus on comprend à quel point ces cordages, s’entrecroisant pour évoquer à la fois des barreaux de prison et les araignées dans lesquelles s’amusent les enfants dans les squares, sont essentiels. La cabine du capitaine, figurée par l’ajout de quelques tapis, chaises et d’une baignoire au centre du plateau, n’échappe pas à l’atmosphère carcérale ainsi créée, encore accentuée par la présence d’un fond de scène uni, déclinant toutes les nuances de gris, du clair à l’anthracite (sublimes éclairages de Jean Kalman !).

Pour représenter la timonerie, une simple passerelle, suspendue à mi-hauteur, suffit ; pour figurer le fond de cale où vit l’équipage, le pont se soulève, révélant un antre sombre et bas de plafond, d’où pendent des hamacs évoquant autant de voiles enroulées. Bref, un dispositif aussi sobre que signifiant, comme Michael Levine en a depuis toujours le secret, qui offre à Deborah Warner l’occasion de déployer son formidable talent de metteuse en scène.

On admire d’abord sa capacité à concevoir des tableaux vivants d’une beauté et d’une poésie infinies, notamment quand Claggart chante son célèbre « O, beauty » sur le pont, juste au-dessus du hamac où Billy s’est endormi dans une position évoquant irrésistiblement un Christ descendu de sa croix. Puis on est saisi par le soin apporté à la direction d’acteurs, d’une précision et d’une acuité de bout en bout fulgurantes.

Deux exemples : la scène où Claggart menace le Novice pour qu’il incite Billy à la mutinerie, d’un sadisme presque insoutenable mais jamais appuyé, jusque dans la manière de suggérer une possible dimension sexuelle ; ou encore la gestion des masses et des individualités pendant l’attaque du vaisseau ennemi, au début de l’acte II, formidablement animée sans que l’agitation tourne à la confusion.

On adressera les mêmes compliments à Ivor Bolton, dirigeant un orchestre et des chœurs (préparés par Andres Maspero) d’un enthousiasme et d’une cohésion sans faille. Peut-être un peu trop froide au Prologue et au début du I, la lecture du chef britannique, actuel directeur musical du Teatro Real, révèle très vite ses mérites, culminant dans un acte II et un Épilogue époustouflants.

La distribution est dominée par un Billy et un Vere d’exception. Jacques Imbrailo, idéal de candeur et de rayonnement, tant vocal que physique, se confirme le meilleur interprète du rôle-titre à l’heure actuelle. Impossible de ne pas verser une larme, en entendant le baryton sud-africain dans l’envoûtant « Billy in the Darbies » !

Toby Spence, de son côté, ne nous avait jamais autant transportés qu’en capitaine déchiré entre son devoir et sa conscience. Son David dans Die Meistersinger von Nürnberg, la saison dernière, à l’Opéra Bastille, aussi bien chanté et caractérisé fût-il, ne nous avait pas véritablement marqués. Nous ne sommes pas près, en revanche, d’oublier son Vere tout d’humanité et de subtilité, servi par un timbre bien en situation et une qualité de phrasé superlative.

On a connu des Claggart plus impressionnants et terrifiants que Brindley Sherratt, mais la basse britannique incarne à la perfection le personnage voulu par Deborah Warner, d’une vulnérabilité d’emblée surprenante. Tous les autres chanteurs seraient à citer, avec une mention spéciale pour le bouleversant Dansker de Clive Bayley et le Squeak plus visqueux que nature de Francisco Vas.

Coproduit avec l’Opéra National de Paris, qui devrait l’accueillir dans l’une de ses prochaines saisons, ce Billy Budd n’est pas moins réussi que celui mis en scène par Francesca Zambello, en 1996, repris plusieurs fois depuis à la Bastille. Il est sans doute moins « spectaculaire » sur le plan visuel, mais la qualité de la direction d’acteurs y est encore supérieure.

RICHARD MARTET

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