Comptes rendus Bicentenaire Offenbach à Strasbourg
Comptes rendus

Bicentenaire Offenbach à Strasbourg

07/01/2019

Opéra, 9 décembre

Après l’Opéra de Tours, avec Les Fées du Rhin, l’Opéra National du Rhin a ouvert, avec un peu d’avance, les célébrations du 200e anniversaire de la naissance d’Offenbach, avec une rareté : Barkouf, « opéra-bouffe » en trois actes, sur un livret d’Eugène Scribe et Henry Boisseaux, créé à l’Opéra-Comique, le 24 décembre 1860.

S’agissant d’un titre absent des affiches depuis cent cinquante-huit ans, dont on ne disposait d’aucune trace sonore, les attentes étaient grandes : allait-on découvrir un chef-d’œuvre injustement tombé dans l’oubli ? La réponse est non, même si Barkouf méritait sans doute davantage que les sept représentations de l’hiver 1860-1861, à l’issue desquelles il disparut du paysage lyrique, victime, entre autres, de critiques particulièrement négatives.

Nous nous trouvons, en fait, en présence d’un ouvrage « expérimental », pour reprendre l’adjectif utilisé, dans le programme de salle, par le musicologue Jean-Christophe Keck, responsable de l’édition critique chez Boosey & Hawkes – Bote & Bock. Offenbach y teste de nombreux procédés d’écriture qui feront, par la suite, le succès de La Belle Hélène (1864) et La Grande-Duchesse de Gérolstein (1867), sans jamais atteindre au même niveau de réussite.

L’exemple le plus significatif est, sans doute, le morceau d’ensemble qui réunit, au début de l’acte III, les conspirateurs décidés à se débarrasser du chien Barkouf, nommé gouverneur de leur ville par le Grand Mogol. Emmenée par le grand vizir Bababeck, cette « Conjuration » parodie ostensiblement celle du quatrième acte des Huguenots, mais sans le génie dont Offenbach fera preuve aux deuxième et troisième actes de La Grande-Duchesse de Gérolstein. On a carrément l’impression d’entendre un brouillon !

Les autres parodies de « grand opéra », dans lesquelles le compositeur excellait (notamment l’ensemble « Que l’on menace, que l’on s’efface » à l’acte I) ne manquent pas de sel, les mélodies sont jolies – quoique prévisibles –, le quatuor Kaliboul/Bababeck/Périzade/Saëb est très drôle, et le concertato du finale de l’acte II est une splendeur. Tout cela, pourtant, ne fait pas une partition mémorable et l’on sort de la salle en se disant que, décidément, la postérité ne s’est pas trompée en préférant La Grande-Duchesse à Barkouf !

Une exécution plus stimulante, tant sur le plan visuel que musical, aurait-elle pu sauver la mise ? En partie, sans doute. Confrontée à un livret tournant en dérision les travers des puissants et dénonçant à la fois leurs privilèges et l’arbitraire de leurs décisions, Mariame Clément choisit de télescoper les époques. En pleine crise des «Gilets jaunes » (première à Strasbourg le 7 décembre, représentations à Mulhouse jusqu’au 8 janvier), la référence était attendue, mais il était probablement trop tard, au début des répétitions, pour modifier l’allure générale du spectacle. À la place, nous avons eu droit à la Révolution orange en Ukraine, à des conspirateurs affublés de masques à l’effigie d’Emmanuel Macron, François Hollande, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal… et à l’apparition finale de Napoléon III et l’impératrice Eugénie.

Pourquoi pas, surtout s’agissant d’une intrigue aussi loufoque ? Sauf qu’il faut tirer quelque chose de substantiel de ce jeu de références. La mise en scène de Mariame Clément, soutenue par une vraie direction d’acteurs, se suit sans déplaisir… ni enthousiasme. Le décor « ukrainien » de l’acte I n’est pas utilisé de manière à faire oublier son absence de charme et nous n’avons pas compris pourquoi l’intérieur du palais du gouverneur, à l’acte II, devenait une salle d’archives, avec des rangées d’étagères montant jusqu’aux cintres.

La niche de Barkouf, et la référence au chien lui-même, auraient également mérité d’être davantage exploitées… Bref, un fil conducteur, justifiant la transposition géographique et temporelle, fait défaut et l’on se prend à regretter que l’équipe de production n’ait pas respecté le cadre originel d’une Inde de conte de fées.

Dans la fosse, Jacques Lacombe dirige avec efficacité, mais sans éclat, un Orchestre Symphonique de Mulhouse que l’on a connu plus concerné et des Chœurs de l’Opéra National du Rhin en méforme (nombreux décalages au I, attaques trop basses au III). Quant à la distribution, elle n’est pas tout à fait à la hauteur de l’enjeu, à l’exception du Grand Mogol plein d’autorité de Nicolas Cavallier (mais il a si peu à faire !), du Saëb bien chantant de Patrick Kabongo (que de progrès accomplis depuis son passage par l’Académie de l’Opéra-Comique !) et, surtout, du Kaliboul de Loïc Félix, comme toujours épatant dans ce répertoire bouffe.

Rodolphe Briand, l’un des meilleurs Frantz des Contes d’Hoffmann et Guillot de Morfontaine dans Manon de notre époque, n’a pas l’ampleur et le brillant exigés par Bababeck, vrai ténor d’opéra-comique plutôt que ténor de caractère (Sainte-Foy, son créateur, fut le premier Corentin dans Le Pardon de Ploërmel de Meyerbeer).

Pauline Texier, enfin, souffre en Maïma, rôle conçu pour une soprano lyrique colorature de très grande envergure (Marie Marimon, sa première interprète, allait s’illustrer ensuite dans Marie de La Fille du régiment, Marguerite de Valois dans Les Huguenots, Dinorah…). Fine comédienne, formidablement agile dans les traits de virtuosité et le suraigu, elle ne fait jamais oublier un timbre désagréablement pointu et acidulé, ni un bas médium et un grave dépourvus de projection.

Résurrection en demi-teinte, donc, en attendant la reprise à l’Opéra de Cologne, coproducteur du spectacle.

RICHARD MARTET

PHOTO : © KLARA BECK

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