Après avoir savouré son magnifique premier récital chez Deutsche Grammophon (voir O. M. n° 155 p. 77 de novembre 2019), nous attendions avec impatience le concert de Benjamin Bernheim, programmé en ouverture du Festival « Voix d’automne » d’Évian. Le chanteur français n’a pas déçu nos espoirs, l’écoute sur le vif, dans un programme en partie similaire, offrant un reflet fidèle de ce que nous avions entendu au disque.
Commencer avec Les Nuits d’été tient de la gageure, peu de ténors osant s’y mesurer, surtout avec orchestre. Pour son premier contact avec le cycle berliozien, Benjamin Bernheim impose une interprétation d’emblée remarquable, qu’il peaufinera encore, soyons-en sûr, au fil du temps.
Vocalement, le parcours est négocié avec une aisance confondante, n’étaient quelques graves insuffisamment sonores, voire détimbrés, dans Sur les lagunes et Au cimetière. Surtout, le cycle sonne d’une manière radicalement différente par rapport à ce que l’on entend avec une soprano ou une mezzo.
À l’ivresse sonore procurée par les timbres capiteux et enveloppants de Régine Crespin, Eleanor Steber, Leontyne Price, Jessye Norman, Kiri Te Kanawa, Joyce DiDonato (la liste est longue !), se substitue, en effet, une séduction moins sensuelle, reposant prioritairement sur la mise en valeur du texte.
L’air de Lenski d’Eugène Onéguine, en ouverture de la deuxième partie, surprend dans un programme censé offrir un panorama de la musique vocale française au XIXe siècle. Benjamin Bernheim s’y montre aussi bouleversant qu’au disque, « En fermant les yeux » de Manon et « Ah ! lève-toi, soleil » de Roméo et Juliette emportant ensuite l’auditeur sur les cimes.
Mais c’est l’« Invocation à la nature » de La Damnation de Faust qui impressionne le plus, davantage encore que dans le récital Deutsche Grammophon. L’ampleur de la projection, la noblesse de la déclamation, l’énergie dans la progression dramatique laissent véritablement pantois.
Deux bis, au terme de ce parcours particulièrement exigeant : « Una furtiva lagrima » de L’elisir d’amore et un irrésistible « Pourquoi me réveiller » de Werther, chantés exactement comme en studio, avec, chez Donizetti, quelque chose de corseté qui disparaît complètement chez Massenet.
Bon accompagnement de l’Orchestre des Pays de Savoie, dirigé avec métier par Nicolas Chalvin, qui fait oublier une « Polonaise » d’Eugène Onéguine excessivement clinquante, aux cordes incertaines et stridentes.
RICHARD MARTET
© ALINE PALEY