Opéra Bastille, 4 février
Nous ne reparlerons pas de la production de Damiano Michieletto, sinon pour rappeler qu’elle nous avait beaucoup plu lors de sa création au Grand Théâtre de Genève, en 2010 (voir O. M. n° 56 p. 47 de novembre), mais nous semblait avoir perdu de sa magie lors de son transfert à l’Opéra Bastille, en 2014 (voir O. M. n° 100 p. 51 de novembre). Une impression que les reprises successives – en dernier lieu, celle de janvier-février 2018 (voir O. M. n° 137 p. 59 de mars) – avaient pu atténuer.
Las, pour cette nouvelle série, nous avons retrouvé le chef d’orchestre de 2014, sur lequel nous pouvons reprendre, mot pour mot, ce que nous écrivions alors : « La baguette morne et appliquée de Carlo Montanaro plombe littéralement la soirée. » De plus, en raison sans doute du manque de répétitions et du calendrier chaotique dû aux grèves, la mise en place est souvent hasardeuse.
Tout cela n’aide guère à imprimer à la représentation son rythme échevelé, d’autant que certains des protagonistes manquent franchement de conviction. Ainsi, le jeune baryton russe Ilya Kutyukhin, pour ses débuts en Figaro, est privé d’abattage et de subtilité, malgré une voix efficace et sonore.
De même, Xabier Anduaga, Premier prix masculin du Concours « Operalia » 2019, semble surtout soucieux d’exhiber un aigu claironnant – non sans frôler parfois l’accident –, mais son chant est peu nuancé, avec des vocalises souvent savonnées. De surcroît, son Almaviva, insuffisamment investi, ne se montre pas très drôle sous ses divers déguisements. À 25 ans, le ténor espagnol a sans doute le temps de progresser.
Cela laisse, en tout cas, toute latitude à Carlo Lepore de triompher en Bartolo, basse bouffe italienne de la plus belle tradition, capable d’un vertigineux canto sillabato, et sachant se montrer aussi truculent qu’émouvant.
Quant à Lisette Oropesa en Rosina – rôle que la soprano américaine n’avait plus chanté depuis ses années d’études –, c’est peu de dire qu’elle incarne cette figure d’ado gothique et rebelle, avec une énergie et une gourmandise communicatives. Ses atouts ? Un timbre joliment fruité, d’impeccables vocalises, de ravissantes variations, et quelques suraigus intelligemment interpolés – dont un électrisant contre-ré dans le vaudeville final !
Reste que, quoi que Lisette Oropesa en dise dans l’entretien accordé à Mehdi Mahdavi, dans ces colonnes (voir O. M. n° 158 pp. 12-16 de février 2020), le rôle de Rosina est vraiment écrit pour une voix centrale… Et l’on se demande pourquoi, alors qu’en 2014, s’étaient succédé deux mezzos, Karine Deshayes et Marina Comparato, l’Opéra National de Paris s’obstine à distribuer, pour les reprises, des sopranos – Pretty Yende, en 2016, puis Olga Kulchynska, en 2018 –, ce qui oblige à maints aménagements et transpositions.
Seul vrai point faible de la distribution, le Basilio assez engorgé de la jeune basse polonaise Krzysztof Baczyk, à la projection modeste, et inapte à la plus brève colorature.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/CHARLES DUPRAT