Le Corum, Opéra Berlioz, 30 septembre
Les contraintes sanitaires ayant rendu impossible la production d’Aida initialement prévue en ouverture de saison, Valérie Chevalier, directrice générale de l’Opéra Orchestre National Montpellier, a parfaitement tenu son pari : monter en l’espace de quelques mois une nouvelle mise en scène d’Il barbiere di Siviglia, dans une salle, l’immense Opéra Berlioz, pourtant peu propice à l’intimité de l’« opera buffa ».
La bonne idée de Rafael R. Villalobos et de son décorateur, Emanuele Sinisi, est de resserrer l’action à l’intérieur d’un rectangle lumineux, en se servant de l’espace dégagé sur les côtés pour faire évoluer les chœurs dans le respect des règles de distanciation physique. Au centre du plateau, posée de biais, une maison blanche façon Monopoly complète le dispositif, ses murs servant occasionnellement pour des projections vidéo (un ciel nuageux, par exemple, pendant « Se il mio nome »).
Avant « Una voce poco fa », la maison pivote et révèle l’intérieur de la demeure de Bartolo : une salle à manger aux murs ornés de pots métalliques remplis de fleurs rouges et blanches et d’un grand portrait de la Madone, meublée d’une table, de chaises, de cartons empilés et d’un vieux poste de télévision. Le jeune metteur en scène espagnol, en effet, a décidé de situer l’action dans les années 1970-1980, dans la période suivant la mort de Franco, au moment où l’Espagne découvrait l’ivresse de la liberté, sous toutes ses formes.
En découlent de multiples références à la « Movida » et aux premiers films de Pedro Almodovar, des costumes audacieux (Figaro en jean troué, veste effrangée et santiags, Rosina en pantalon de cuir moulant, haut noir en dentelle et talons aiguilles rouges), le tout agrémenté d’une bonne dose d’humour, voire de dérision. Bartolo, symbole du conservatisme franquiste, est ainsi affublé d’un ridicule pyjama à rayures vertes et blanches. Et Almaviva, d’abord présenté sous l’allure d’un chanteur de flamenco fort content de sa personne, se présente chez Bartolo non plus dans un uniforme d’officier, mais dans un habit de matador dépenaillé.
Servi par de jolies lumières, Rafael R. Villalobos règle une direction d’acteurs alerte, au rythme soutenu, avec des chanteurs n’hésitant pas à aller au contact. Dommage qu’emporté par son élan, il bascule de temps en temps dans la vulgarité (la crise de flatulences dont souffrent les soldats de la garde, à la fin du I !) et prenne des libertés plus ou moins défendables avec la partition.
Dès l’Ouverture, on comprend que les changements de sexe, thématique chère, entre autres, à Pedro Almodovar, vont occuper une place centrale dans la mise en scène. Passe encore pour une Berta incarnée par un travesti, mais pourquoi remplacer son air du II (« Il vecchiotto cerca moglie ») par un extrait de La Gran Via, célèbre « zarzuela » de Chueca et Valverde, sur un livret de Felipe Perez y Gonzalez ? « Pobre chica, la que tiene que servir » est certes une jolie mélodie, dont les paroles collent idéalement au personnage de la servante, mais elle tombe ici comme un cheveu sur la soupe. Et l’excellent contre-ténor américain Ray Chenez n’y peut rien !
Sous la baguette très enlevée de Magnus Fryklund, l’Orchestre National Montpellier Occitanie est impeccable, à l’instar du chœur maison, bien préparé par Noëlle Gény. Quant à la distribution, elle tient globalement son rang, même si Jacques-Greg Belobo paraît trop en retrait en Basilio et si Paolo Bordogna, scéniquement étourdissant en Figaro, ne surveille pas suffisamment son chant et s’abandonne à des facilités d’un autre âge.
Philippe Estèphe, en constants progrès, tire le maximum des brèves interventions de Fiorello et Gezim Myshketa campe un Bartolo de grand relief. À 38 ans, et en pleine possession de ses moyens, le baryton albanais déploie des qualités de timbre et de ligne refusées aux basses en fin de carrière que l’on distribue généralement dans le rôle. Un peu jeune, sans doute, pour un barbon, mais quel bonheur pour les oreilles !
Avec son timbre de mezzo profond et sensuel, doublé d’un physique de mannequin, Adèle Charvet est une Rosina à la séduction dévastatrice. Vocalisant avec aisance, elle se joue de toutes les difficultés, à deux bémols près qu’il lui sera facile de corriger : le grave sonne parfois étouffé et la partie supérieure du registre accuse de petites incertitudes (l’aigu final de « Una voce poco fa », résolument trop bas).
Philippe Talbot, enfin, est un modèle de facilité et d’élégance en Almaviva. La voix est charmeuse, le style sûr, l’agilité maîtrisée – il écarte, précisons-le, le redoutable « Cessa di più resistere » final –, et l’acteur est, comme toujours, épatant.
Une belle réussite, donc, qui confirme le haut niveau de qualité de l’Opéra Orchestre National Montpellier.
RICHARD MARTET
PHOTO © MARC GINOT