Opéra Confluence, 6 mars
En février-mars 2019 (voir O. M. n° 149 p. 69 d’avril), la 26e édition du Concours International de Chant de Clermont-Ferrand avait permis de recruter une grande partie de la distribution de ce couplage Cavalleria rusticana/Pagliacci. Après sa première à l’Opéra Grand Avignon, le spectacle doit tourner, jusqu’en janvier 2021, à Reims, Vichy, Clermont-Ferrand, Massy, ainsi qu’au Festival de Saint-Céré (1).
On découvre le travail efficace d’Éric Perez, qui a l’avantage d’articuler les deux ouvrages en un vrai diptyque, dont il renforce la cohérence en donnant le Prologue de Pagliacci (« Si puo ? ») avant Cavalleria rusticana, comme prélude à l’ensemble du spectacle.
Après donc ce Prologue chanté au milieu du public, le rideau de scène s’ouvre sur les coulisses d’un théâtre ambulant… Avouons toutefois que cette « mise en abyme », évidemment consubstantielle à Pagliacci, semble moins pertinente pour Cavalleria rusticana, le drame final y devenant une représentation pour les fidèles à la sortie de la messe, selon une modalité qui n’est pas très claire.
Dans le deuxième volet, en revanche, la « mise en abyme » est en fait double : au public sur scène (les chœurs, assistant au spectacle des comédiens ambulants), s’ajoute notre présence de spectateurs. C’est encore dans la salle même que se déroule le double meurtre, d’un réalisme stupéfiant, au point qu’on hésite presque à intervenir, ce qui fait de nous les voyeurs de ce tragique fait divers.
Parfaitement soutenue par la direction énergique et attentive de Miguel Campos Neto, à la tête d’un Orchestre Régional Avignon-Provence en bonne forme, la distribution donne le meilleur d’elle-même. Et l’on est heureux de constater que tous les lauréats du Concours tiennent leurs promesses.
Comme on s’y attendait, Solen Mainguené est une très belle Nedda, aussi intense de jeu que de voix. Et son grand air est un régal, pour l’oreille comme pour l’œil : tout en détaillant coloratures et trilles, elle exécute un numéro de cirque compliqué, avec une aisance qui laisse pantois.
Avouons, également, que les craintes suscitées par Chrystelle Di Marco, qui avait certes montré au Concours une voix impressionnante, un engagement indéniable, mais aussi une technique contestable, s’envolent très vite, tant sa Santuzza convainc par sa flamme et par un instrument nettement mieux maîtrisé.
Le beau mezzo d’Ania Wozniak donne corps à une Lola sensuelle à souhait. Jean Miannay est un impeccable Beppe, faisant de sa « Sérénade », délivrée avec autant de délicatesse que d’émotion, un des moments forts de la soirée. Enfin, la voix de bronze et la carrure de garde du corps de Dongyong Noh trouvent parfaitement à s’incarner dans la brutalité d’Alfio, comme dans la lubricité insidieuse de Tonio.
Côté artistes invités, saluons Jiwon Song, autre baryton coréen, mais aussi dissemblable que possible de son collègue. Avec un physique de jeune premier et un chant infiniment plus raffiné, il impose un Silvio de grande classe, après avoir ouvert la représentation par un élégant « Si puo ? », suprêmement modulé.
Aucun des postulants pour Turiddu et/ou Canio n’ayant convaincu au Concours, on était impatient de voir qui tiendrait ces rôles. Le ténor ukrainien Denys Pivnitskyi, qui les avait déjà chantés, mais pas au cours de la même soirée, relève le défi avec les moyens adéquats. Mais l’acteur et le musicien manquent de subtilité, conduisant parfois cette voix, pourtant solide et puissante, au bord de la rupture, en particulier dans des aigus poussés et souvent trop hauts.
THIERRY GUYENNE
(1) À la date où nous publions cet article, les représentations à Reims (20, 22 mars), Vichy (5 avril) et Clermont-Ferrand (9 avril) ont été annulées, suite à l’épidémie de Covid-19.
PHOTO © ACM/STUDIO DELESTRADE