Grand Théâtre, 8 mars
Le Grand Théâtre affiche complet, la salle est effectivement comble, en dépit des rumeurs virales dans un contexte d’inquiétude généralisée. La coproduction de Don Quichotte, entre les Opéras de Saint-Étienne et Tours, bénéficie d’un état de grâce.
L’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours alerte le public : la convention pluri-annuelle d’objectifs, conclue entre la Ville, la Région, le Département et l’État jusqu’à 2023, ne garantit pas le volume d’activité de la phalange, alors que les engagements financiers sont en hausse. Six spectacles étaient proposés jusqu’alors ; la convention n’en garantit plus que quatre, et sans obligation d’engager l’Orchestre.
À l’évidence, il faut pérenniser l’activité de cette formation qui, sous la conduite de Gwennolé Rufet, délivre une interprétation survoltée du chef-d’œuvre de Massenet. Le Prélude coloré, l’Interlude évoquant le patio de Dulcinée, la poignante agonie du dernier acte, témoignent d’une maîtrise de l’ensemble et de l’excellence de chaque pupitre. Le Chœur de l’Opéra de Tours, partie prenante du rêve et du drame, s’illustre particulièrement dans les scènes d’allégresse et de fête.
Comme à Saint-Étienne (voir O. M. n° 159 p. 63 de mars 2020), la mise en scène de Louis Désiré, les décors et les costumes de Diego Mendez Casariego, les lumières de Patrick Méeüs, installent un dépouillement propice à la concentration sur la méditation du Chevalier qui, au terme de sa recherche, en revoit les épisodes sur un chemin de désillusion.
Nicolas Cavallier, superbe Méphisto de Gounod et récent Démon de Rubinstein, a souvent interprété L’Homme de la Mancha de Mitch Leigh, dans l’adaptation française de Jacques Brel (Bruxelles, 1968). Le voilà pleinement chez lui avec le héros de Massenet, qui convient à sa grande voix homogène, aigu sonore, grave impressionnant. Sa diction fait merveille, sa prestance est celle d’un preux qui ne manquerait pas d’humour.
Pierre-Yves Pruvot, baryton familier des rôles wagnériens (Wotan, Klingsor, Amfortas) et verdiens (Rigoletto, Iago, Falstaff), est étonnamment apparié à son maître en Sancho. Truculent dans son intérêt pour l’auberge et la table, il bouleverse dans le sursaut d’indignation « Riez, allez, riez du pauvre idéologue », qui lui vaut une ovation au terme de l’acte IV.
La musicalité, l’allure, la maîtrise vocale de Julie Robard-Gendre servent la conception de Massenet et de son librettiste Henri Cain : c’est la Belle Dulcinée, nostalgique, elle aussi fascinée par un idéal dont elle regrette de ne pouvoir assumer la quête. La mezzo française excelle autant en vocalises brillantes que dans la mélancolie et l’on comprend que, pour le Chevalier mourant, elle devienne l’étoile qu’il fixe aux cieux.
Les soupirants dont elle se déprend concourent remarquablement à l’équilibre de la distribution. Le comédien Philippe Lebas sait dire au plus près de la musique le texte inquiétant, puis médusé, du Chef des bandits. C’est un modèle de déclamation.
Un long triomphe, une ovation debout, saluent la grandeur du spectacle vivant envers et contre tout.
PATRICE HENRIOT
PHOTO © SANDRA DAVEAU