Gerard Mortier avait fait de la première mondiale de Brokeback Mountain, en parallèle à la reprise du Tristan und Isolde mis en scène par Peter Sellars et Bill Viola.
L’un des temps forts de son mandat au Teatro Real. Désormais cantonné au rôle de conseiller artistique, il a fait fi du cancer qu’il combat depuis plus de six mois pour être présent à ce double événement. Que l’on soit d’accord ou pas avec ses partis pris, que l’on partage ou non ses goûts, on ne peut que s’incliner devant la manière dont Gerard Mortier sait associer des talents venus de toutes les disciplines artistiques, pour aboutir à des spectacles qui s’inscrivent durablement dans la mémoire du public.
Créée à l’Opéra National de Paris, en avril 2005, reprise en novembre de la même année, puis en octobre 2008 (voir O. M. n° 3 p. 58 de janvier 2006 & n° 35 p. 58 de décembre 2008), cette production légendaire entame, suite à une renégociation des droits d’exploitation de la vidéo, une nouvelle vie au Teatro Real de Madrid, avant son retour à l’Opéra Bastille, en avril prochain.
Disons-le d’emblée, ce spectacle n’a pas pris une ride, l’adéquation entre le film de Bill Viola (qui constitue l’essentiel du décor) et la direction d’acteurs de Peter Sellars tenant toujours du miracle. Que d’intensité dans ce dialogue entre images et gestes, pourtant le plus souvent réduits au minimum ! Sellars a un peu modifié certains détails de sa mise en scène, certains éclairages aussi, sans rien lui retirer de son impact.
Certes, la perception que le spectateur en a n’est pas tout à fait la même au Teatro Real qu’à la Bastille, en raison de la différence de profondeur entre les deux salles. Ainsi, ce que l’on gagne ici en proximité avec les chanteurs, on le perd en perspective d’ensemble. Le résultat n’en demeure pas moins confondant de beauté et d’émotion.
L’un des enjeux de ce Tristan, on le sait, est la capacité du chef à se mettre au diapason des deux maîtres d’œuvre visuels. Esa-Pekka Salonen, présent dès l’origine du projet, était évidemment idéal. Valery Gergiev, en revanche, se fourvoyait dans l’entreprise, là où Semyon Bychkov réussissait à tenir la gageure. Appelé à remplacer Teodor Currentzis avant le début des répétitions, Marc Piollet relève brillamment le défi, sauf au premier acte, où il a tendance à faire surgir la passion trop tôt dans la fosse.
Sellars et Viola, en effet, visent alors à l’épure, et seul Salonen, à ce jour, est véritablement parvenu à la traduire dans l’orchestre, avec une lecture chambriste qui, en 2005, avait déconcerté de nombreux auditeurs. Bravo, en tout cas, à Marc Piollet : ce chef français de 51 ans, régulièrement sollicité dans les théâtres germaniques mais peu connu dans son pays, mérite d’être suivi avec attention !
L’Isolde de Violeta Urmana, que l’on retrouvera à Paris, est une très bonne surprise. Au printemps dernier, nous avions quitté la cantatrice lituanienne en difficulté dans La Gioconda, à la Bastille. Depuis, elle est revenue plusieurs fois à ses anciens emplois de mezzo-soprano, y confortant une rondeur, une robustesse dans le médium et le grave, particulièrement appréciables dans Tristan. Inutile, bien sûr, de chercher dans son incarnation le rayonnement scénique de Waltraud Meier. La voix, en revanche, sonne tellement arrogante et sûre qu’on lui pardonne ses quelques bavures dans l’extrême aigu.
Forfait pour raisons de santé, après les trois premières représentations, Robert Dean Smith a été remplacé, le 27 janvier, par un Franco Farina d’une solidité et d’un professionnalisme à toute épreuve. Ekaterina Gubanova et Franz-Josef Selig bouleversent autant qu’en 2005, comme si les ans n’avaient pas davantage de prise sur eux que sur la production. Jukka Rasilainen, en revanche, est un Kurwenal un peu trop usé.
On attend maintenant avec impatience la reprise parisienne, avec un autre chef dans la fosse, et non des moindres : Philippe Jordan.