Avignon, Lyon, Nice, Strasbourg : lequel des quatre Opéras français à la recherche d’un directeur allait être le premier à trouver le candidat de ses rêves ? La réponse est Nice, où l’on sait, depuis le 19 octobre, que Bertrand Rossi occupera le poste laissé vacant depuis le départ d’Éric Chevalier, en février 2019.
C’est une excellente nouvelle, car Bertrand Rossi est un homme de talent, comme il l’a prouvé pendant les dix-neuf années qu’il vient de passer à l’Opéra National du Rhin, successivement régisseur général, directeur de production, directeur général adjoint, et enfin directeur par intérim, après la tragique disparition d’Eva Kleinitz, le 30 mai dernier.
Son départ pour Nice, où il est né en 1973 et où son père a occupé les fonctions de directeur administratif à l’Opéra, signifie que l’Opéra National du Rhin, déjà à la recherche d’un directeur général – les postulants ont jusqu’au 6 novembre pour envoyer leur dossier –, va également devoir se mettre en quête d’un directeur général adjoint. Ce qui, en soi, n’est pas une mauvaise chose, dans la mesure où le conseil d’administration aura ainsi l’opportunité de recruter deux personnalités complémentaires et qui s’entendent bien.
Avignon et Lyon sont, quant à eux, dans la dernière ligne droite. À l’heure où j’écris ces lignes, on ignore encore le nom des heureux élus. La machine à rumeurs, en revanche, s’est mise en route, alimentée comme toujours par des fuites. Le 3 octobre, le site internet sceneweb a ainsi livré les noms de six candidats choisis sur dossier pour passer l’entretien devant le jury de présélection de l’Opéra de Lyon : Laura Akerlund, Richard Brunel, Christophe Ghristi, Laurent Joyeux, Bruno Messina, Sebastian Schwarz. Mais la formulation choisie par le site laisse bizarrement penser qu’on en a retenu plus de six…
Les quatre théâtres dont je viens de parler font partie de la Réunion des Opéras de France (ROF), qui vient d’adopter, le 26 septembre, une charte promouvant une éthique commune à ses membres. C’est la première du genre, s’agissant d’un réseau du spectacle vivant, et son apparition n’est pas sans lien avec les différentes affaires qui ont récemment secoué le milieu de l’opéra.
Déclinée en trois principes, la charte vise d’abord à promouvoir l’égalité des chances, en rappelant que la discrimination au travail constitue un délit. Elle entend ensuite renforcer les pratiques déontologiques, s’agissant notamment des conflits d’intérêt. Enfin, elle impose à ses signataires de « défendre l’intégrité physique et morale des personnes entrant en relation professionnelle avec eux, en luttant contre toute forme de harcèlement moral et sexuel ».
C’est bien évidemment sur ce dernier point que le document entre en résonance avec l’actualité, entre les péripéties de l’« affaire Domingo » (voir notre rubrique « À suivre » dans ce numéro) et la suspension de Vittorio Grigolo par le Covent Garden de Londres, suite à un incident survenu le 18 septembre, pendant une tournée au Japon. Le ténor italien est accusé d’avoir « tripoté » une choriste, accusation jugée suffisamment sérieuse pour déclencher l’ouverture d’une enquête.
La ROF impose donc à ses membres les règles suivantes, dont le détail mérite d’être publié : le harcèlement sexuel « se caractérise par le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou des comportements à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou simplement offensante. En l’absence même de répétition, toute forme de pression grave exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte sexuel au profit de l’auteur des faits ou d’un tiers constitue un harcèlement sexuel. Enfin, dès lors que de tels faits s’accompagnent d’un contact physique avec la victime, le harcèlement devient une agression sexuelle plus lourdement sanctionnée ».
Et, pour être sûrs que ces règles seront effectivement respectées, les membres de la ROF se dotent d’un mécanisme de garantie « permettant à chaque personne entrant en relation professionnelle avec eux d’en devenir le gardien attentif et désintéressé ». Suit un descriptif des droits et obligations du lanceur d’alerte, puis du déroulement de la procédure de signalement : d’abord interne (auprès du « référent-alerte »), puis, en cas de non-réponse du précédent, externe (auprès des autorités judiciaires), et enfin, si rien n’a abouti, divulgation publique.
Cerise sur le gâteau : il est suggéré aux Opéras membres d’indexer la charte à la plupart des contrats qu’ils concluent. De quoi refroidir les ardeurs de tous les artistes et personnels des théâtres un peu trop « tactiles » dans leurs contacts sociaux et professionnels. La charte ne règlera sans doute pas tous les problèmes, mais elle a le mérite d’exister.
Décidément, comme l’a déclaré Placido Domingo, dans sa première tentative de défense, au mois d’août, « les règles et les standards selon lesquels nous sommes jugés aujourd’hui sont très différents de ce qu’ils étaient dans le passé »…
RICHARD MARTET
PHOTO : l’Opéra de Nice. © DR