Opéra/YouTube, 1er novembre
Comme le rappelait Bertrand Rossi dans ces colonnes (voir O. M. n° 166 p. 20 de novembre 2020), une représentation d’Akhnaten (Akhenaton) en France constitue une rareté absolue. Le nouveau directeur général de l’Opéra de Nice expliquait aussi avoir dû, compte tenu de la situation sanitaire, se résoudre à un travail à distance avec Lucinda Childs, la metteuse en scène et chorégraphe, après avoir « tout fait, pendant quatre mois, pour obtenir un laissez-passer qui l’autorise à traverser l’Atlantique ».
Hélas, les représentations ont dû être annulées à la dernière minute, en raison du second confinement. Pour préserver le travail accompli, une captation vidéo a néanmoins pu être effectuée, le dimanche 1er novembre, disponible en streaming depuis le 20 novembre – un canal que les théâtres, comme les mélomanes, ont désormais bien apprivoisé.
Il manque donc le ressenti, profondément hypnotique, d’un spectacle de Philip Glass (né en 1937), qui invite paradoxalement à une attention soutenue, pour saisir le moindre changement, le plus infime détail. Mais, par la captation vidéo, qui saisit les personnages au plus près, Akhnaten gagne en humanité et en épaisseur ce qu’il perd en immersion visuelle et sonore. Et il est ici captivant !
Sous la direction vive et précise de Léo Warynski, qui a pratiqué des coupures dans la partition, l’Orchestre Philharmonique de Nice observe scrupuleusement le rituel minimal de la musique de Glass, infinies et minuscules redites, dont le rythme s’accélère jusqu’à la fin de chaque scène. Légèrement incliné, un vaste disque rougeoyant se déploie sur le plateau, s’inclinant ou pivotant lentement. Rappel symbolique du dieu soleil Aton, autour duquel Akhenaton entendait créer un monothéisme alors inédit.
Dès l’Ouverture, les vidéos d’Étienne Guiol nimbent cette scène d’autres cercles, dessinant progressivement de noueuses spirales, dans un noir et blanc solennel. Surgit, sépulcral, le visage de Lucinda Childs, qui assume, elle-même, le rôle – parlé – d’Amenhotep. Un magnifique exemple de continuité : elle dansait à Avignon, en 1976, lors de la création d’Einstein on the Beach, alors mis en scène par Robert Wilson, dont elle reprend ici la lenteur et les déplacements hiératiques des personnages, fausse immobilité parfaitement adaptée à un tel spectacle.
En alternance avec les lumières radieuses de David Debrinay, qui magnifient le plateau sphérique où trône le pharaon, les vidéos s’enchaînent, ici les cartouches d’Akhenaton, là un temple, et se font aussi l’écho des danses. Les protagonistes, qui observent rigoureusement le déplacement de profil, s’inscrivent parfaitement dans ce cadre étonnamment intemporel, précipité de modernité visuelle et de respectueux hommage à l’Égypte antique. Le minimalisme musical influe-t-il sur la mise en scène ? Peut-être jugera-t-on qu’elle est parfois trop statique, mais c’est d’éternité qu’il est avant tout question.
La distribution est de grande qualité. Dans le rôle-titre, Fabrice di Falco offre des aigus saisissants, contrebalancés par une belle présence des graves, chaleureux, solaires, sans doute. Conditionnée par l’esprit général du spectacle, l’incarnation, presque neutre, impose une figure figée, aux dépens de l’évolution du personnage au fil des années.
Magnifique Nefertiti de Julie Robard-Gendre, dont on salue ici les graves somptueux et la ligne de chant. Il faut de l’expressivité, lorsque les paroles sont parfois de simples « ah ah » répétés sans fin ! Belles prestations, également, de Patrizia Ciofi, Joan Martin-Royo, Frédéric Diquero, et de Vincent Le Texier, au parlando impressionnant d’autorité.
Bien plus qu’un témoignage, cette captation montre la vitalité d’une production conduite dans des conditions ô combien difficiles, que l’on devrait retrouver dans la salle de l’Opéra de Nice, lors de sa reprogrammation, à l’automne 2021.
JEAN-MARC PROUST
PHOTO © DOMINIQUE JAUSSEIN