Théâtre des Champs-Élysées, 26 juin
Rolando Villazon signe sa première mise en scène d’opéra pour un théâtre parisien, accueillie, le 15 juin, par des huées. À la dernière, le 26, plus aucune contestation, le spectacle ne méritant, sans doute, ni critiques excessives, ni éloges démesurés.
On aura beau jeu d’en relever les maladresses, comme ce trio de jeunes filles, virevoltantes et court-vêtues, symbolisant les « esprits de la montagne », et les incohérences, à commencer par son décor unique. Comment Amina, censée se trouver dans la chambre du Comte Rodolfo, à la fin de l’acte I, pourrait-elle faire scandale, quand tout l’opéra se déroule entre les mêmes murs ? Mais c’est, surtout, l’image finale qui soulève la polémique, montrant la célébration du mariage entre Elvino et… Lisa, pendant qu’Amina fait sa valise (!), en hiatus complet avec la liesse exprimée par le texte et la musique.
Pour autant, il y a un sens à situer l’action dans une communauté religieuse sclérosée, enclavée dans la cuvette d’un glacier, hostile aux étrangers et ennemie de toute joie. La spontanéité et la sensualité d’Amina y sont stigmatisées, au point qu’on peut comprendre l’héroïne de vouloir fuir ce carcan oppressant, d’autant qu’elle est très mal assortie à son fiancé, présenté ici comme une sorte de champion du clan.
Cette conception correspond, de surcroît, à la personnalité vocale et physique de Pretty Yende et Francesco Demuro, mal appariés de timbre et de manière dans leurs duos : elle, tout en courbes, douceur et souplesse ; lui, raide, poussant la note, avare de couleurs et incapable de triller. Une capacité à tirer parti des caractéristiques de ses deux principaux interprètes, que l’on portera au crédit de Rolando Villazon.
De façon générale, le plateau réunit des voix davantage que des stylistes. Aux côtés de Marc Scoffoni, sonore Alessio, et d’Annunziata Vestri, Teresa au beau mezzo profond, la soprano franco-américaine Sandra Hamaoui, membre de la troupe de l’Opéra de Zurich, est une impeccable Lisa, aux vocalises nettes et aux aigus percutants.
La basse ukrainienne Alexander Tsymbalyuk donne du relief au Comte Rodolfo, mais la puissance de l’instrument ne fait pas oublier un air (« Vi ravviso, o luoghi ameni ») au cantabile peu soigné et à l’intonation plafonnante. Elvino tout en muscles, le ténor italien Francesco Demuro assume aigus et suraigus au prix d’une émission claironnante, encombrée de coups de glotte, qui ne convient pas aux nombreux passages élégiaques du rôle.
Les seuls vrais moments d’émotion viennent de Pretty Yende. Malgré son charisme, la soprano sud-africaine déçoit un peu dans son air d’entrée, trahissant un médium légèrement voilé et quelques négligences dans l’intonation. Mais l’incarnation se révèle de plus en plus attachante, au fil de la soirée, jusqu’à une scène de somnambulisme qui montre l’interprète au sommet de son art.
La baguette amoureuse d’un Riccardo Frizza sensible, attentif, théâtral, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Paris, n’est pas étrangère à cet accomplissement. C’est merveille de voir comment le chef italien, qui avait déjà guidé Pretty Yende dans Lucia di Lammermoor, à l’Opéra Bastille, à l’automne 2016, l’inspire et la transfigure. Il la pousse, dans « Ah ! non credea mirarti », à puiser au plus profond d’elle-même pour oser un legato hanté, au portamento millimétré, avant une cabalette finale (« Ah ! non giunge ») bien enlevée, aux variations inventives, et couronnée d’un fulgurant contre-fa.
Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point Riccardo Frizza adapte sa direction aux capacités de ses interprètes. Ainsi, dans l’air d’Elvino, « Tutto è sciolto », il exige bien plus de cantabile de l’excellent cor solo que du ténor.
C’est donc de la fosse que viennent les plus grands bonheurs de cette Sonnambula, en permettant à son héroïne quelques moments de grâce absolue.
THIERRY GUYENNE
PHOTO © VIENCENT PONTET