Opéra, 3 mai
Spectaculaire apparition, dès l’Ouverture, du plateau entièrement couvert d’eau, sur une trentaine de centimètres, avec bientôt l’entrée d’un corps féminin flottant sur le dos, à la dérive – préfiguration de la noyade de Senta, sans doute –, puis de quatre ondines maléfiques, qui reviendront périodiquement jusqu’au finale.
Le choix de l’eau omniprésente est justifié, et l’on se souvient des saisissantes images du film de Vaclav Kaslik (1975, Deutsche Grammophon), avec ses terrifiants matelots du Hollandais, en position d’attaque, comme des oiseaux de mer, au milieu de l’eau montant à leurs bottes. Avec cette dernière réminiscence probable, les sœurs Blankenship, Beverly et Rebecca, réalisatrices de cette production du Theater Hagen (2017), reprise avec une distribution entièrement nouvelle, ont pourtant poussé plus loin.
Dans un encadrement de scène affichant le comptage des années d’errance du héros, pas d’autre élément de décor : seulement des cordages, au I ; l’unique enroulement d’un énorme câble autour d’une grande borne d’amarrage, autour de laquelle tournent les « fileuses », au II ; des tabourets émergeant des flots, et une vasque où brûlent de hautes flammes, au III. Le tout sur fond noir, avec quelques éclairages colorés. Le bassin aquatique reste présent, tel quel, jusqu’au finale. Au milieu du II, pourtant, un épais tapis de brume blanche cotonneuse recouvre entièrement sa surface, permettant la belle entrée du Hollandais, surgi des dessous.
Cette conception dépouillée, mais assez forte et cohérente, particulièrement efficace dans les passages les plus dramatiques, soulignés par l’agitation des flots, et que soutient une bonne direction d’acteurs, a pourtant l’inconvénient sérieux d’un bruit d’eau presque constant, vraiment gênant dans les moments de concentration ou de calme relatif.
Le plateau vocal tire bien son épingle du jeu, dominé par le Hollandais monumental du Lituanien Almas Svilpa, colosse au masque farouche et à l’émission puissante, qui s’efforce pourtant avec mérite à la nuance – un peu périlleuse dans « Wie aus der Ferne ». Martina Welschenbach est une Senta plutôt légère, venue du Deutsche Oper de Berlin (Liù, Mimi…), mais irréprochable dans des aigus bien projetés, assez limitée pourtant dans l’expression d’un visage trop impavide, comme dans la gestique.
Le Daland très sûr de Patrick Simper, aux graves suffisants, donne un personnage naïvement intéressé, presque caricatural, esquissant même les pas d’une danse très déhanchée, dans sa joie d’aller pêcher au fond de l’eau les trésors du Hollandais.
Samuel Sakker impose un Erik percutant, mais tout de même bien nasal, et trop peu charmeur, tandis que Doris Lamprecht assure une Mary autoritaire et revêche du modèle classique. On retiendra, enfin, l’excellent Pilote de Yu Shao, qui brillait déjà dans le rôle à Lille, en 2017, et aussi dans le Jeune Marin de Tristan und Isolde à Montpellier, en janvier dernier.
Avec un Orchestre Symphonique de Bretagne très motivé, sonnant aussi bien que possible dans son espace réduit (cuivres et timbales dans les loges), et le Chœur d’Angers Nantes Opéra, complété par le chœur de chambre Mélisme(s), Rudolf Piehlmayer déploie, sans excès de nuances, toutes les vertus d’un Kapellmeister d’expérience.
Rattrapant la moindre amorce de dérapage, le chef allemand assure, avec de bons tempi, la solidité d’un ensemble très idiomatique, donné dans la foulée à Angers, Nantes, Nancy, puis Luxembourg, et largement diffusé sur une quarantaine d’écrans régionaux, ce que mérite sans doute cette production modeste, mais de bon aloi.
FRANÇOIS LEHEL
PHOTO © LAURENT GUIZARD