Comptes rendus Londres honore Berlioz
Comptes rendus

Londres honore Berlioz

20/03/2019

St Paul’s Cathedral, 8 mars

8 mars 1869 : Berlioz meurt à Paris. 8 mars 2019 : cent cinquante ans plus tard, jour pour jour, John Nelson dirige la Grande Messe des morts en la cathédrale Saint-Paul de Londres, là où s’est produite, en 1851, et selon les mots mêmes du compositeur, « la chose la plus extraordinaire que j’aie vue et entendue depuis que j’existe » – la réunion de six mille cinq cents voix d’enfants des écoles de charité, qui lui donnera l’idée d’ajouter un chœur d’enfants à son propre Te Deum.

Le Requiem, cependant, ne se satisfait pas de ce type d’acoustique, bien plus réverbérée encore que celle de la basilique de Saint-Denis. Dans les moments d’intensité, même si l’on est assis dans les premiers rangs, ce qu’on perçoit se situe au-delà de la musique. Quand les timbales du Tuba mirum se mettent à rouler, on a l’impression que le son jaillit des piliers ; quand la caisse roulante se joint à la mêlée, c’est comme si un monstre allait surgir du sol en brisant les dalles ; au milieu du Lacrymosa, on se croirait sous les bombes. On a presque envie de retourner la célèbre phrase de Berlioz : « On vibre, on n’entend pas » ; ou plutôt, on entend imparfaitement, on entend autre chose.

L’imagination doit donc prendre constamment le relais, car, même dans les nombreux épisodes recueillis, l’image sonore est brouillée par un halo qui déforme les perspectives. Les chœurs (Philharmonia Chorus et London Philharmonic Choir, parfaits de chaleur et d’homogénéité, mais victimes, eux aussi, d’illusions acoustiques) semblent étagés sur différents plans, et seuls les cors, les violoncelles et quelques bois ne sont pas d’une manière ou d’une autre altérés.

Pour qui connaît la partition cependant, et devine ce qu’il n’entend pas réellement, le miracle vient de la cohésion que John Nelson réussit à donner à l’ensemble, et notamment à un Philharmonia Orchestra des grands soirs, qui répond à la moindre intention du chef américain. Ce Requiem porte vraiment sa marque : plus lyrique que dramatique, plus fluide que violemment contrastée, cette direction est celle d’un fin connaisseur, qui pratique ce répertoire depuis près d’un demi-siècle.

Est-ce parce que l’oreille s’accoutume peu à peu à l’acoustique ? Toujours est-il que la maîtrise du chef semble s’affirmer de mouvement en mouvement, pour aboutir à un Offertoire splendide, puis à un Hostias dont on a rarement entendu des sforzandi aussi marqués. Et, dans le Sanctus, Michael Spyres remplit l’espace d’une voix rayonnante, avec une force tranquille où la joie de chanter l’emporte sur le sentiment mystique. On est assez loin de Frédéric Antoun à la Philharmonie de Paris, deux semaines plus tôt (voir ci-dessous), alors que John Nelson propose une lecture moins physique que celle de Pablo Heras-Casado : la prière de Michael Spyres est glorieuse, passionnée, portée par des cymbales qui, à cet instant, sonnent idéalement.

Ce concert a été enregistré par Erato/Warner Classics. Les ingénieurs du son auront fort à faire, s’ils veulent qu’il soit plus convaincant que le troisième Requiem de Colin Davis (LSO Live), capté dans le même lieu, en 2012, et victime, malgré une interprétation bouleversante, d’une acoustique indomptée. La matière musicale est là, ardente et sereine à la fois : il faut que la technique, maintenant, rende justice à John Nelson.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO © DR

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