Le metteur en scène Cyril Teste et son Collectif MxM entraient dans le monde lyrique en 2018 avec Hamlet d’Ambroise Thomas. Sa production marquante revenant à l’Opéra Comique en ouverture de saison 2022, l’occasion de se pencher avec lui sur les bases cinématographiques d’un travail complémentaire entre image et théâtre était trop tentante…
Un homme sous influence
« Dans Hamlet, j’ai été inspiré par la réalité telle qu’elle est construite aujourd’hui avec la communication et les médias. On fait cinéma de tout, la fiction peut soudain devenir un instrument politique. » La première scène, avec son tapis rouge pour l’accession au pouvoir de Claudius, est ainsi « filmée comme toutes les investitures que nous voyons aujourd’hui dans le monde ». Le Vauclusien admet convoquer des figures récurrentes dans l’esthétique de ses projets théâtraux, à savoir des « cinéastes qui ont inscrit de manière indélébile [son] rapport à l’image : Ingmar Bergman, par les plans qui saisissent les visages de très près, et Andreï Tarkovski, par la question du tableau dans l’image ». En rappelant que le réalisateur soviétique « mesurait le rythme d’un film non pas par le montage, mais par le temps qui s’écoule dans chacun des plans », il dévoile la raison des plans-séquence qui ponctuent son Hamlet. Une « fidélité d’âme visuelle » le lie également à John Cassavetes « pour théâtre dans le théâtre, le méta. Hamlet veut impliquer la fiction dans la vie, et inversement. Mon hommage ouvert à Cassevetes dans le spectacle, c’est la scène où Ophélie va sur le plateau, ivre morte, comme Gena Rowlands dans Opening Night. Ma Gena Rowlands, c’est Sabine Devieilhe. » Quid du spectre du père défunt ? « Les fantômes incarnent la mémoire, et le cinéma japonais a la spécificité de les représenter de chair et d’os. Le réalisateur Kiyoshi Kurosawa a été une référence parce que le fantôme, physique, crée une crise existentielle profonde. » Une troisième couche de réflexion nourrit le travail de Cyril Teste Salle Favart, à savoir « la façon dont les artistes parlent de l’art, surtout aujourd’hui, où l’art est un peu mis à mal dans la société. C’est bien de le remettre au centre des enjeux, dire qu’il existe aussi au sein de la société. Hamlet piège la conscience du roi à l’aide du théâtre. Tant que nous continuons à faire du théâtre, nous sommes en capacité d’en faire un instrument politique qui touche une société. »
Suivre ou ne pas suivre
Ce n’est pas la première fois que Cyril Teste rencontre Hamlet. Il a monté Hamlet-Machine de Heiner Müller pendant ses études au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, et a plus récemment mis en scène Festen de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov, d’après le long-métrage éponyme. « Festen s’inscrit dans une trilogie que j’ai articulée autour d’Hamlet, avec l’opéra et La Mouette d’Anton Tchekhov. J’aime travailler autour d’un même thème sur plusieurs œuvres, pour qu’elles se touchent, se parlent et s’éclairent les unes les autres. Dans Festen, la sœur s’est suicidée noyée, le père est monstrueux, la mère ne veut pas voir ce que son fils n’est plus, et le fils utilise un texte pour énoncer la vérité lors d’un repas, tout ça dans le royaume du Danemark : l’héritage shakespearien ne fait pas de doute. Dans La Mouette, c’est le pendant d’une figure libre qui m’a fasciné. » C’est là qu’on voit le kaléidoscope de possibilités offert par le matériau dramatique d’origine. « Shakespeare a été visionnaire du cinéma. L’apparition du fantôme, c’est extraordinaire. On a d’un seul coup une véracité du regard, qui voit et interprète. » Les transpositions sur le grand écran ont d’ailleurs été nombreuses, de la fresque de Kenneth Branagh jusqu’à la réactualisation d’Aki Kaurismäki, sans oublier la satire sociale de Claude Chabrol. « Une adaptation, et c’est toute sa difficulté, ne doit pas rendre l’œuvre actuelle, mais contemporaine, en lui trouvant une présence aujourd’hui. L’actualité ne s’inscrit pas toujours dans l’histoire, donc il faut aller chercher l’histoire – avec un grand H et dans le récit – à l’intérieur. Quand on a retrouvé l’histoire et que l’histoire se raconte au présent, il faut que l’histoire continue de se raconter. Le théâtre est encore un endroit où on peut raconter une histoire en laquelle on croit. »
Image et scène, les deux bienheureuses
Chez Cyril Teste, la transition infime entre le théâtre et la vidéo est irriguée d’énergie technique et humaine. L’existence simultanée de deux images côte à côte, comme on peut la voir parfois au cinéma, prend vie à la scène, avec la projection d’une vidéo filmée en direct et l’ « écran » virtuel formé par le jeu d’acteur. « Ce split screen entre le théâtre et l’image rend les projets vraiment théâtraux. Le cinéma est un art qui scelle le temps, qui le ferme. Une fois qu’on a tourné plusieurs fois une scène, on choisit la prise qu’on préfère. Dans mon travail, je parle plutôt de vidéo en temps réel. Aucun soir ne sera identique. Si vous allez sur un territoire à chaque fois nouveau, ça ne peut plus être vraiment du cinéma, puisqu’il est sorti de son contexte. Le théâtre est un art qui a la vertu d’accueillir tous les autres arts. »Mais qu’est-ce qui fait, au juste, qu’une image signifie quelque chose ? « Pour moi, une image n’a de force que si le hors-champ est fort. Parfois, on allume sa caméra pour filmer une scène, mais la scène ne peut pas être à la dimension du cadre. Filmer deux personnes assises dans un restaurant n’est intéressant que s’il y a quelque chose derrière elles. Ce n’est pas parce qu’on ne filme pas que ça ne doit pas exister. Le hors-champ est plus important que le cadre : si le hors-champ est compris par celui qui le construit, alors son image n’aura plus qu’à révéler le hors-champ. » La transversalité de ces médiums permet donc d’aiguiser le regard sur la manière d’observer. « Un cadrage est en soi totalitaire. Un plan serré sur un acteur, c’est une décision de le regarder de près, que le réalisateur a prise pour vous, même si vous n’en avez pas envie. Au théâtre, il y a une « vacuité » du regard. Travailler sur ces deux endroits du regard me permet de trouver du sens. Le théâtre est un lieu de l’espace, de l’énergie, là où le cinéma va chercher de l’intime et de la confidence. »
L’abécédaire visuel de Cyril Teste s’appuie sur la polysémie, et peut s’avérer utile lorsque « Hamlet en soi n’est qu’une partie de l’œuvre. Il faut aller chercher autour tout ce qu’elle raconte et qui puisse la nourrir. Ce n’est pas forcément en cherchant Hamlet qu’on trouve Hamlet ». La clé est là où on ne l’a pas encore cherchée…
Hamlet, d’Ambroise Thomas, à l’Opéra Comique (Paris 2e) du 24 janvier au 3 février 2022
La Mouette, d’Anton Tchekhov, en 2022 :
– au Parvis, Scène nationale Tarbes-Pyrénées les 26 et 27 janvier
– au Théâtre Sartrouville Yvelines CDN les 10 et 11 février
– au Théâtre + Cinéma, Scène nationale de Narbonne les 16 et 17 février
– aux Célestins, Théâtre de Lyon du 2 au 12 mars
– au Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine du 22 au 26 mars
– au Théâtre Sénart, Scène nationale (Lieusaint) du 31 mars au 2 avril
– à La Condition publique (Roubaix), avec La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq, du 6 au 8 avril
– au Nanterre-Amandiers, Centre dramatique national du 14 au 30 avril
– au TSQY, Scène nationale (Saint-Quentin-en-Yvelines) les 12 et 13 mai
– au TAP (Poitiers) du 17 au 19 mai
– au CDN Orléans / Centre-Val de Loire les 15 et 16 juin
THIBAULT VICQ