On en parle Le miracle de La Cité Bleue à Genève
On en parle

Le miracle de La Cité Bleue à Genève

21/03/2024
Leonardo Garcia Alarcon, lors de l'inauguration de La Cité Bleue. © François de Maleissye/Cappella Mediterranea

« Je ne sais pas ce qui résonnera plus fort ce soir, la musique ou les battements de mon cœur ! », annonce la voix claire et enthousiaste de Leonardo Garcia Alarcon, au public de La Cité Bleue, à Genève.

En cette soirée d’inauguration, qui marque, ce 9 mars, la fin de six ans de fermeture et plus de deux ans de travaux pour rénovation complète – seuls les murs extérieurs, de forme octogonale, ont été gardés en l’état –, le chef et claveciniste ­helvético-argentin, directeur général et artistique des lieux depuis 2021, semble conquis par sa merveille et ne cache pas sa fierté de la présenter à la communauté genevoise.

« Nous avons désormais un foyer », lance-t-il à ses musiciens de l’ensemble Cappella Mediterranea, installés dans la fosse pour L’Orfeo de Monteverdi, premier chef-d’œuvre lyrique « qui parle de résurrection à travers la musique ». Une pièce de circonstance, donc, prévue pour l’inauguration, avant même que les travaux n’aient commencé, et que la fosse mobile et motorisée – fait exceptionnel dans une salle de 300 personnes ! – ne soit dessinée.


L’Orfeo. © François de Maleissye/Cappella Mediterranea

Durant cette version de concert, l’acoustique ne manque pas d’interpeller : les chanteurs peuvent se permettre des pianissimi presque détimbrés, le jeu des cordes est toujours clair, et le Chœur de Chambre de Namur semble chanter d’une seule voix.

Inauguré en 1968, sous le nom de Salle Patiño, l’octogone en béton avait été construit au sein de la Cité Universitaire, pour faire office de pôle d’art contemporain. S’il accueillait, alors, aussi bien des projections, des pièces de théâtre, des performances ou des expositions que des concerts (citons John Cage, Philip Glass, Luigi Nono, Luciano Berio…), le lieu fait rapidement la part belle à l’art dramatique, pour lequel l’acoustique est idéale. Pour la musique, en revanche, les possibilités se révèlent très limitées.

Au mur, des grappes de haut-parleurs (environ cent cinquante) et de microphones (une trentaine) trahissent le secret de la nouvelle Cité Bleue : un système ­électroacoustique nommé « Constellation », développé par l’entreprise américaine Meyer Sound et installé, pour la toute première fois, en Suisse.

Ce dispositif très sophistiqué permet d’améliorer les qualités acoustiques de l’espace, en captant le son de la salle, en l’analysant numériquement et en réémettant une partie du signal, en complément du son direct. Le temps de réverbération peut, ainsi, être augmenté d’une durée variable selon les besoins : en cette soirée lyrico-montéverdienne, 1,6 seconde.


Leonardo Garcia Alarcon dans la salle. © François de Maleissye/Cappella Mediterranea

À la fin de l’œuvre, Leonardo Garcia Alarcon revient sur scène, une tablette à la main, pour montrer les prouesses de « la bête ». Un simple clic lui permet de transporter les spectateurs dans l’acoustique de Notre-Dame de Paris, et un simple claquement de main de le prouver.Après diverses démonstrations – comment La Cité Bleue résonnera pour la musique de chambre, le répertoire symphonique ou pour une conférence –, le maestro invite, à nouveau, le public à applaudir : le son est immédiatement avalé.

Le chef des lieux, dont la voix paraît soudain lointaine et sans timbre, explique avoir enlevé tout traitement du son : il s’agit de l’acoustique « réelle » de la salle, qui a pourtant été améliorée, lors des travaux, grâce à des revêtements en bois, en forme de vagues, sur les murs, ainsi qu’à des fauteuils adaptés.

S’il est fier du succès suscité par sa démonstration, le musicien n’hésite pas à tempérer ses propos sur ce « joujou », à plus d’un million d’euros. Celui-ci lui avait été proposé par les acousticiens chargés de la rénovation, pour pouvoir adapter la salle à la variété de la programmation ­souhaitée : théâtre, comédie musicale, musique ancienne, symphonique, récitals, musique de chambre…

« Quand je suis allé en Allemagne pour découvrir ce système, j’étais complètement contre. Je suis revenu en disant que c’était non, qu’on ne ferait jamais cela. Et puis, progressivement, je me suis laissé séduire par cette technologie… Car c’est un miracle ! », s’exclame Leonardo Garcia Alarcon. Avant de confier, avec humour : « Vous vous en doutez, je ne suis toujours pas 100 % d’accord avec ce système… » Mais les tremblements de sa voix, qui arrivent parfaitement jusqu’aux oreilles du public, trahissent son enthousiasme débordant. Il faut dire que cette salle marque un véritable tournant, pour le chef de 47 ans.

La riche programmation de mars sera suivie, jusqu’à la fin de la saison, de la première « Nuit Bleue » – soit douze heures de « marathon musical », de 19 h 30 à 7 h 30 –, avec le pianiste Nelson Goerner, entouré, notamment, du Quatuor Modigliani (27 avril), et de la création d’Amour à mort, pièce de théâtre musical, inspirée de La Jérusalem délivrée, et mise en scène par Jean-Yves Ruf, sous la direction du maître des lieux, qui y mêlera des œuvres baroques à ses propres compositions (du 11 au 15 mai).

Place, ensuite, au « musical », avec Chasing Rainbows, un spectacle conçu autour du répertoire de Julie Andrews, avec Lea Desandre et Thomas Dunford (du 24 au 26 mai), puis à la création d’Ernest & Victoria, qui retracera, à travers leur correspondance, l’histoire d’amitié entre le chef suisse Ernest Ansermet et l’écrivaine argentine Victoria Ocampo (du 3 au 7 juin), et enfin à la rencontre entre musique et jonglage, portée par le Collectif Petit Travers et le Quatuor Debussy, dans Nos matins intérieurs (du 11 au 13 juin).

Une chose est sûre, La Cité Bleue n’est pas monochrome !

ROXANE BORDE

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