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On en parle

La Vestale de retour à l’Opéra de Paris

29/05/2024
Elza van den Heever (Julia), lors des répétitions. © Opéra National de Paris/Elena Bauer

Dans l’atelier des décors de l’Opéra Bastille s’élève, copie aussi conforme que le permet la largeur du plateau, le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, que domine Le Bois sacré, toile marouflée de Puvis de Chavannes, reproduite, mais comme estompée, dans la scénographie monumentale conçue par Etienne Pluss, pour la nouvelle production de La Vestale de Spontini, confiée à Lydia Steier.

« Le livret s’appuie sur deux pôles dans la société, explique la metteuse en scène américaine, avec, d’une part, l’aspect religieux, incarné par les vierges vouées à Vesta, et, d’autre part, la guerre entre les Romains et les Gaulois. Il est toujours important, pour moi, qu’une partie de l’histoire soit connectée au monde d’aujourd’hui, y compris à travers des filtres, qui ne le rendent pas nécessairement reconnaissable. Nous nous sommes penchés sur des sociétés où tout, en dehors de la religion et de la guerre, s’est désintégré.

La Servante écarlate (The Handmaid’s Tale, 1985), le roman de Margaret Atwood, a été une grande source d’inspiration. Il présente, en effet, un contexte où, à cause d’un coup d’État, la liberté intellectuelle, les droits des femmes, ou encore tout espace politique modéré ont été anéantis. Cet univers extrême, où seules subsistent la conquête militaire et une religion fondamentaliste effrayante, sert de base à notre spectacle.

Or, tant dans le livre que dans la série télévisée, qui en a été tirée, le centre de la république de Gilead s’apparente clairement à l’université d’Harvard. Mais des livres y ont été brûlés, et la science a déserté cette institution dédiée au savoir : il n’en reste plus que les murs. C’est pourquoi nous avons transposé l’action de La Vestale dans une version vandalisée du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. »


Maquette du décor signé Etienne Pluss. ©  Opéra National de Paris/Etienne Pluss

En ce mardi 7 mai, à près de six semaines de la première des neuf représentations de la « tragédie lyrique » de Spontini, qui marqueront, à partir du 15 juin, son retour à l’Opéra National de Paris, dans la version originale française de la création, Salle Montansier, le 15 décembre 1807, disparue du répertoire depuis l’ultime série de 1854 – l’ouvrage n’ayant plus été repris dans la maison, après une unique soirée de gala, réunissant, le 24 janvier 1909, les forces de la Scala de Milan au grand complet, dans la traduction italienne –, les solistes répètent, en Salle Gounod, le finale du premier acte.

Alors que se déroule la procession triomphale en l’honneur de Licinius victorieux – rôle tenu par le jeune ténor américain James Ley, en attendant l’arrivée, imminente, de Michael Spyres –, impossible de ne pas remarquer les gestes d’intimité physique échangés par le Souverain Pontife (Jean Teitgen) et la Grande Vestale (Eve-Maud Hubeaux), de dos, à l’avant-scène.

« Ils traduisent l’hypocrisie de cette société, poursuit Lydia Steier. Les puissants peuvent faire ce qu’ils veulent, alors que tous les autres doivent suivre les règles, ou subir des conséquences épouvantables. C’est comme un corset, pour tenir les masses en respect. »

Dans cette scène, Licinius et Julia se revoient pour la première fois, après cinq ans de séparation, alors que leur amour est devenu sacrilège, depuis que l’héroïne, « par un père expirant aux autels enchaînée », garde, vestale parmi les vestales, le feu sacré du temple, où elle doit couronner le front du vainqueur du laurier d’or.

« Nous jouons avec l’idée que Licinius est traumatisé par la guerre, décrit Lydia Steier. Il a fait ce qu’il était supposé faire, mais revenir pour Julia est la seule raison pour laquelle il a perpétré ces actes terribles. Au début de l’opéra, la culpabilité et l’horreur qu’il ressent, en réalisant qu’il a été instrumentalisé par l’État pour commettre des atrocités, se manifestent, d’une manière très reconnaissable, par des troubles du stress post-traumatique.

D’abord, Julia ne le reconnaît pas, alors que lui la recherche, dès ­l’Ouverture, à l’extérieur du temple. Nous examinons, à travers le choc et l’anticipation de la joie qu’ils éprouvent à l’idée de se revoir, à quel point ces deux personnages ont été endommagés par le système.

Dans l’univers de Margaret Atwood, les options qu’ont les femmes sont relativement limitées, et peut-être que, pour Julia, être une vestale est la meilleure position possible. Elza van den Heever est une chanteuse, une actrice et une artiste, avec laquelle je travaille pour la troisième fois. Sa façon de ressentir la scène et la partition dépasse ce qui, dans la texture de la musique, elle-même, pourrait facilement tomber dans une certaine platitude, pour exprimer ces moments de tristesse explosive, alternant avec une sorte d’acceptation forcée. »

La soprano franco-sud-africaine reprend le rôle, près de cinq ans après l’avoir incarné, pour la première fois, déjà sous la direction de Bertrand de Billy, et avec Michael Spyres pour partenaire, dans la bonbonnière qu’est le Theater an der Wien (voir O. M. n° 157 p. 58 de janvier 2020). Si le passage à l’Opéra Bastille représente un changement d’échelle radical, il ne l’inquiète pas, bien au contraire.

« Une grande voix dans un petit théâtre, c’est toujours compliqué, reconnaît Elza van den Heever. Cette partie de ma vie est un peu confuse. Novembre 2019, juste avant le Covid et le confinement… j’ai beau y repenser, c’est comme si je ne m’en souvenais pas. À Paris, ni la taille de la salle, ni chanter en français ne m’effraient. Le défi que représente Julia – et je le pensais déjà à Vienne – est que le rôle est, techniquement, le plus difficile que j’aie jamais fait, y compris Norma. Ses quatre airs sont si différents ! Le premier devrait être chanté par une soubrette, le deuxième est un tour de force de soprano dramatique, et les deux suivants se situent dans le territoire de mezzo. Il faut utiliser l’étendue de l’instrument avec délicatesse et puissance.

Au premier acte, Julia est très soumise. Elle est, certes, victime des circonstances, mais aussi un peu faible. Je le dis tout en sachant qu’au III, elle ne trahit pas Licinius, quand elle le pourrait. Mon problème, avec ce personnage, est qu’il n’est pas fort, alors que sa musique l’est. C’est une étrange contradiction. Je vais voir ce que Lydia Steier en fait. »

Ceux qui ont vu, et entendu, Elza van den Heever lors de sa prise de rôle, en octobre 2022, dans la production, pour le moins controversée, de Salome, mise en scène, elle aussi, par Lydia Steier, ne peuvent avoir le moindre doute sur la capacité de cette interprète hors norme à transcender, dans la lignée des plus grandes titulaires de Julia – depuis le souvenir, forcément fantasmé, de Rosa Ponselle, et celui, intégralement documenté, quoique dans un son précaire (Warner Classics), de Maria Callas (l’une et l’autre en italien), jusqu’au récent enregistrement, en français, de Marina Rebeka, pour le Palazzetto Bru Zane (voir O. M. n° 193 p. 80 de juin 2023) – cette « étrange contradiction ».

MEHDI MAHDAVI

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