Nous avons testé Arsène Lupin et le secret de l’Opéra, la nouvelle immersion ludique proposée de façon permanente au sein du monument. Une aventure plaisante, avec quelques bémols.
Ce n’est pas la première fois que le Palais Garnier se transforme en théâtre de jeu immersif… Entre 2018 et 2020, avec Inside Opéra, l’institution tentait déjà de faire découvrir son somptueux décor autrement qu’à travers ses traditionnelles visites libres, guidées ou audioguidées. Si le Covid a mis l’initiative entre parenthèses, celle-ci restait dans les tuyaux, et la société Cultival a été chargée de relancer la machine. Il y a quatre ans, cette structure réputée pour ses sorties culturelles inédites en Île-de-France, « revisitait » les Invalides en conviant les curieux à y résoudre une enquête conçue dans l’esprit du jeu vidéo Assassin’s Creed. Rive droite, cette fois, Arsène Lupin et le secret de l’Opéra affiche l’ambition de croiser l’univers d’un personnage qui a fait gambader notre imagination avec celui d’un lieu qu’on ne s’est jamais lassé d’admirer. Proposition alléchante sur le papier. Restait à juger sur pièces… et nous voilà fins prêts.
Prendre la relève de Lupin
Alors que les visiteurs accèdent, d’ordinaire, au bâtiment par la rampe de l’Empereur, nous entrons par la grande porte. A l’intérieur, des comédiens-valets nous accueillent. Domestiques d’une certaine Irène Lupin, soi-disant mécène et descendante du gentleman-cambrioleur, ils nous expliquent que nous allons devoir résoudre un problème sur lequel son aïeul s’est cassé les dents. Lupin était parvenu à percer presque tous les secrets du comte de Cagliostro, ce riche aristocrate italien qui a inspiré bon nombre de ses aventures. Mais, à la fin de sa vie, nous apprend-t-on, le malfrat-détective butait sur un dernier mystère. Et il était persuadé que Charles Garnier avait caché, dans son chef-d’œuvre, des indices susceptibles de lui en délivrer la clé. Nos hôtes nous remettent un livret – le carnet de notes du héros – et une poignée de documents – affiche, partition, invitation. À nous, de reprendre le flambeau…
L’expérience, censée durer une heure et demie, peut s’effectuer à plusieurs ou en solo. Avec une tournure d’esprit aussi adaptée aux énigmes que des bretelles le sont à un lapin, il nous est apparu judicieux de nous acoquiner avec deux équipiers… histoire d’éviter d’y être encore à minuit ! Notre départ est un peu laborieux. Plan des lieux à la main, nous peinons à saisir la gymnastique cérébrale que l’on attend de nous. Nous songeons à solliciter l’un des Game Masters présents à proximité pour nous aider à débloquer la situation, mais notre chef d’équipe a un éclair de génie. Ça y est, il a compris ! Nous, pas vraiment… Mais nous optons pour une répartition des rôles qui convient à tout le monde : à lui, la logique et le crayon ; à nous, l’observation. Une configuration qui pourra parfaitement s’adapter aux adultes accompagnés d’enfants. Auxquels le parcours est recommandé à partir de 7 ans, ou de 10 ans en autonomie.
Un trésor d’un millier de lyres
D’étapes en étapes, la récréation va nous acheminer à travers tous les espaces emblématiques du monument, à l’exception de la salle de spectacle qui ne lui est pas associée. S’il s’agissait de provoquer une autre « lecture » du Palais Garnier, le pari est plutôt réussi. Car, du Grand Foyer au Grand Escalier en passant par la Rotonde du Glacier, nous sommes amenés à scruter des médaillons, des mosaïques, des tableaux auxquels nous n’avions jamais prêté attention. Happés par la majesté des lieux, nous avions oublié d’en observer les détails. Magnétisés par le plafond peint par Chagall, nous n’avions accordé que bien peu d’intérêt aux bustes de tous ces auteurs, compositeurs, architectes qui veillent, en arc de cercle, sur le saint des saints. Jamais nous n’avions imaginé, comme nous l’apprendrons en cours de route, qu’un millier de lyres furent peintes ou sculptées dans cet écrin.
L’intrigue n’est pas conçue pour s’arracher les cheveux. Les « casseurs d’escape game » et autres amateurs d’équations « coton » iront voir ailleurs. Ni trop faciles, ni trop ardues, ses six énigmes ont trouvé le bon équilibre pour s’adapter à un public familial. Assez variées, elles comportent de belles trouvailles, comme cette rencontre avec un chorégraphe qu’il faut regarder danser pour franchir une étape. Bien qu’enclins à décrocher ou à baisser les bras dans ce type de loisirs, nous nous sommes vite pris au jeu. Ses quatre-vingt-dix minutes (voire plus, car chacun est libre d’avancer à son rythme) passent rapidement, sans lassitude, ni découragement. Le fait que les Game Masters soient facilement repérables et nombreux à pouvoir épauler les participants, contribue à mettre les néophytes en confiance.
Garnier conserve ses secrets
À l’heure du bilan, l’aventure nous a laissé une impression générale plutôt positive, malgré quelques déceptions. Nous avons aimé prendre le Palais Garnier pour terrain d’investigation, étaler nos documents en vrac sur ses planchers, cavaler d’étage en étage. Cette approche sans cérémonie désacralise le lieu, le rend plus familier… Mais le sentiment qu’il nous devenait plus intime s’est heurté à deux écueils. Le parcours s’effectue parmi le flot habituel des visiteurs. Ils sont 900 000 à s’y engouffrer chaque année et leur pression peut devenir pesante. Nous espérions, surtout, accéder à des salles confidentielles, qui auraient permis à notre immersion de se démarquer d’une visite lambda par quelques privilèges. Dernier regret : le dénouement, que nous choisissons de ne pas spoiler, nous a laissés sur notre faim. Nous l’imaginions plus inattendu et, surtout, plus spectaculaire, malgré la pertinence de sa fin ouverte. Dommage car, comme dans un repas gastronomique où le faux pas d’un dessert peut faire chuter l’appréciation, c’est souvent la dernière sensation qui marque les esprits… Bref, il nous aura manqué ce surcroît d’émotion ou de surprise qui aurait fait basculer l’expérience de l’agréable à l’inoubliable.
STÉPHANIE GATIGNOL
Retrouvez notre article consacré aux escape games dans les maisons d’opéra dans LYRIK n°3, en kiosque depuis le 22 décembre.
À faire :
Arsène Lupin et le secret de l’Opéra, au Palais Garnier, à partir du 21 décembre 2022.