Au Festival de Bayreuth, Katharina Wagner, directrice du Saint des saints wagnérien, emploie une nouvelle machine de guerre pour diversifier le public, briser le phénomène de l’entre-soi, et attirer des spectateurs n’étant pas farouchement hostiles à la modernité des mises en scène.
Le 5 août 2022, le Festival de Bayreuth a suscité des projections en salle de l’une de ses nouvelles productions, Götterdämmerung. Cet événement aura attiré un nombre de spectateurs largement plus élevé que celui des 1 200 personnes assises à l’intérieur du prestigieux Festspielhaus pour chaque représentation. Bayreuth reçoit chaque été 36 000 spectateurs au maximum. Cette particularité numérique crée des tensions. Celles et ceux qui peuvent pas accéder au Saint des saints wagnérien déclarent qu’il serait trop inégalitaire dans son système de répartition des places.
La projection du 5 août aura été effectuée en léger différé. Il s’agissait de la première représentation du dernier volet d’un nouveau Ring mis en scène par Valentin Schwarz, un Autrichien de 33 ans. Ce type de manifestation résulte du double objectif poursuivi par Katharina Wagner, arrière-petite-fille du compositeur et directrice générale du festival. Elle entend augmenter les recettes du festival – de l’ordre de 32,5 millions d’euros en 2021 – grâce à la création d’une société de productions audiovisuelles.
Cette nouvelle machine de guerre constitue l’un des outils d’un programme d’action visant à varier le public en s’adressant à des spectateurs n’ayant pas d’idées préconçues conservatrices en matière de mise en scène. Dès lors, l’ouvrage très spectaculaire qu’est Götterdämmerung aura été projeté dans une centaine de salles allemandes, dont celles – berlinoises – des cinémas Yorck. Ils sont une dizaine et tiennent du réseau parisien MK2. Ayant commencé à 18h pour se terminer à 23h45, la projection aura atteint 22 000 spectateurs, soit quasiment 80% des spectateurs accueillis, chaque été, au Festspielhaus.
Une partie non mince d’entre eux ayant décidé que le travail de Valentin Schwarz relèvait totalement de l’iconoclasme, elle se retrouve pendant les entractes à la cure Kneipp, ce verdoyant lieu confidentiel de Bayreuth où coule un ruisseau. On y voit alors des dames en robe du soir et des messieurs en smoking quitter haut talons et chaussures vernies pour s’y rafraîchir les pieds tout en maudissant Katharina Wagner d’avoir livré Bayreuth à des agents du wokisme, et de diverses calamités imaginaires. Tel n’est pas l’avis des spectateurs quittant les cinémas après avoir savouré l’ultime volet de la Tétralogie sur grand écran.
PHILIPPE OLIVIER
